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La rivière qui se défend, avec Valérie Cabanes

Et voici la dernière interview officielle de notre voyage ! Sur le chemin entre les Pyrénées et notre foyer belge, j'ai pu rencontrer Valérie Cabanes, juriste et porte-parole du mouvement End Ecocide On Earth.

Valérie Cabanes


Elle travaille notamment sur la question des droits de la nature, thème que nous avons entamé sur ce blog avec la rencontre, à Londres, de Liz Hosken de la Gaia Foundation. C'est dans l'espoir de découvrir sa perspective de juriste sur la question que je suis allé la rencontrer.



Les limitations du droit actuel


Depuis les années 70 et l'inauguration des Sommets de la Terre par l'ONU, une réelle prise de conscience écologique est apparue. Suite au premier Sommet (à Stockholm, en 1972), les dirigeants internationaux ont reconnu qu'une économie débridée pouvait nuire à l'environnement et à notre propre survie. De ce constat est né le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, qui coordonne à l'échelle internationale les politiques environnementales. Ensuite, dans les années 90, l'idée de développement durable reçoit un accueil remarquable et aujourd'hui, le souci pour l'environnement est une priorité pour de nombreuses nations.


Du moins, c'est ce qui est prétendu officiellement. Car selon Valérie Cabanes, bien que ces initiatives mondiales aient engendré certaines bonnes idées, le droit international souffre de trois limitations.


D'abord, le droit international n'est pas assez contraignant. En effet, malgré la succession, tous les dix ans, de prestigieux Sommets de la Terre et d'autres événements politiques, les mesures adoptées restent rarement contraignantes. Par exemple, le Sommet de Rio de Janeiro en 1992 a mis sur pied l'Agenda 21, un programme d'action pour l'environnement adopté par 178 chefs d'États ! Sauf que cet Agenda 21 ne consiste qu'en une série de "principes" directeurs, indiquant la "bonne" direction mais que personne n'est véritablement tenu de suivre. De plus, dans tout ce contexte, un principe suprême a été mis sur un piédestal : celui de la souveraineté des États disant, en somme, que malgré tous les accords internationaux, un États garde le droit de gérer la nature sur son territoire comme bon lui semble (tant qu'il ne cause pas de dommages hors de son territoire).

La COP21, ou Accord de Paris en 2015. Un événement de grande ampleur...où le devoir de protéger l'environnement

s'est transformé en un simple principe non contraignant (un "shall", "doit", devenant un "should", "devrait", dans le texte).


Ensuite, certains organismes jouissent d'une certaine impunité : les multinationales. Entités existant à cheval sur plusieurs États, donc échappant toujours à une régulation seulement étatique, la gestion de leur activité est une tâche complexe. Par exemple, la société civile peut porter plainte contre une multinationale dans un pays seulement si ce dernier le permet dans sa loi. Mais en pratique, la force de la multinationale (et de son armée d'avocats) est écrasante face aux moyens de la société civile.


Enfin, le droit actuel reste anthropocentriste. Selon Valérie Cabanes, seul un droit reconstruit sur des fondements écocentristes est à la hauteur des enjeux de respect et de préservation de la nature. Rappelons que la vision écocentriste consiste à mettre au centre de notre système de valeurs la planète et non l'Homme. Mais il ne s'agit pas d'exclure l'Homme au profit de la Nature : plutôt, il s'agit de réaliser que le bien de l'Homme passe par la reconnaissance de la Nature comme sujet central de droit.



Il y a du mouvement !


Selon Valérie Cabanes, l'enjeu du droit de demain sera donc de surmonter ces limitations. Or, les choses bougent et de nombreuses initiatives émanent de certains États (comme la reconnaissance de droits de la nature dans la Constitution par l'Équateur et la Bolivie), de certains juges lors de procès particuliers ou de la société civile (comme le Tribunal Monsanto, le procès citoyen intenté contre la multinationale).


L'année 2017 semble être une période d'intenses initiatives révolutionnaires en terme de droit. Le 15 mars, la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande a été reconnue comme étant une personne juridique à part entière. Cinq jours plus tard, le même statut a été reconnu aux fleuves Gange et Yamuna et à plusieurs écosystèmes environnants.


Actuellement, une révolution est même peut-être en cours en France ! En effet, un peuple indigène de la Nouvelle-Calédonie, les Kanaks (qui ne sont que partiellement reconnus par l'État français) sont en train de former leur propre code de l'environnement dans lequel il est question d'attribuer, au nom d'un "principe unitaire de vie", un statut de personne à des entités naturelles.

Les Kanak de Nouvelle-Calédonie veulent accorder des droits de personne à la nature. Peu de gens en parlent ! (Image issue de cet article.)



Un nouveau crime : l'écocide ?


Dans ce tableau complexe où le droit évolue au rythme de la société, Valérie Cabanes oeuvre également pour la reconnaissance dans le droit d'un nouveau type de crime : l'écocide, ou crime contre la nature. L'archétype historique d'écocide est l'usage de l'agent orange durant la guerre du Viêtnam. Conçu à l'époque par Monsanto pour l'armée américaine, l'agent orange est un herbicide puissant qui a été répandu à des doses extrêmement élevées dans les forêts vietnamiennes, avec pour objectif de détruire la végétation dans laquelle se cachaient les soldats vietnamiens, et de fragiliser ces derniers en détruisant leurs récoltes. Les victimes humaines se sont comptées par millions, et les effets surviennent encore aujourd'hui. Cet acte a affecté des populations humaines du moment, mais a également détruit en profondeur la nature et mis en péril les générations futures.


Depuis cinquante ans, plusieurs groupes tentent d'inscrire l'écocide parmi les crimes contre l'humanité. Malgré plusieurs tentatives, la Cour pénale internationale ne reconnaît aujourd'hui qu'une destruction grave et intentionnelle de l'environnement commise en temps de guerre. Autrement dit, aucune destruction massive de la nature, commise en temps de paix et sans intention explicite, n'est actuellement reconnue comme un crime.


C'est ainsi que peu de moyens juridiques existent pour contrer la destruction actuelle de l'environnement et des générations futures. Il est difficile de faire adopter de nouvelles lois fortes, surtout si elles vont contre les intérêts de groupes puissants. Mais en même temps, il suffit que leur adoption se fasse pour que, soudainement, le système de lois devienne une véritable barrière de protection contre la destruction de la nature. Et de plus en plus de gens se mettent en action dans cette direction.

Un merci infini à Valérie Cabanes !

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