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La Terre a-t-elle des droits ? avec Liz Hosken

Voici notre dernière interview menée au Royaume-Uni ! Le pays regorge d'initiatives et tant de choses sont à explorer... Lors de notre dernier jour à Londres, nous avons pu rencontrer Liz Hosken.

D'origine sud-africaine, elle a connu une enfance partagée entre l'amour de la nature et la lutte sociale contre l'apartheid. Forte de ces expériences, elle s'est ensuite retrouvée à co-fonder, au Royaume-Uni, la Gaia Foundation. Cette organisation, dont le nom s'inspire directement de l'hypothèse Gaïa de James Lovelock, travaille avec de nombreuses communautés et groupes civils à travers le monde, en particulier en Amérique Latine et en Afrique, afin de "restaurer une relation respectueuse de la Terre" (cf. leur site web).


Les droits des communautés indigènes et les droits de la Terre


Les activités de l'organisation sont nombreuses. Un premier axe global d'action est la lutte pour la reconnaissance des droits des communautés indigènes face aux innombrables mécanismes (commerciaux, politiques, ...) qui tendent à bafouer leur dignité, leurs terres et leurs cultures. C'est ainsi que Gaia Foundation collabore avec les agriculteurs africains afin de développer un savoir profond de leurs semences en vue d'acquérir leur souveraineté alimentaire. Ailleurs, l'organisation va lutter, main dans la main avec les communautés locales, contre des projets d'extraction minière destructeurs de l'environnement.


Un second axe d'action est la lutte pour l'adoption, nationale voire internationale (au niveau des Nations Unies), de la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère. Rédigée en Bolivie lors de la conférence mondiale des peuples contre le changement climatique en 2010, cette déclaration a pour but de servir d'inspiration pour instaurer un système juridique contraignant permettant de préserver la nature et les êtres vivants de la destruction par les humains (on pense notamment aux grandes multinationales). Il s'agit donc d'une initiative analogue à la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont le rôle était également inspirateur.


Vous pouvez afficher le texte (court) de la Déclaration en cliquant ici. Il faut lire cette Déclaration car elle mentionne les droits dont il est question (droit de vivre, d'accéder à de l'air pur, ...).

Une scène du Tribunal international des droits de la nature, dont la 3e édition s'est tenue à Paris en 2015.


En 2008, l'Équateur a modifié sa Constitution pour y ajouter un chapitre sur les droits de la Nature (ou Pachamama), en complément des droits déjà existants pour les humains (cliquez ici pour lire les ajouts). Par ailleurs, la Bolivie a adopté en 2010 une loi reconnaissant des droits à la Terre Mère. Enfin, la Nouvelle Zélande a récemment attribué des droits légaux à la rivière Whanganui, faisant d'elle une personne juridique. Il y a donc un certain mouvement mondial en direction des droits de la nature, bien que cela soit encore minoritaire.


La mémoire de notre vraie place sur Terre


Ces deux axes de travail, les droits des communautés indigènes et ceux de la Nature, sont deux faces d'une même lutte, nous dit Liz Hosken. Selon elle (et elle cite ici Thomas Berry), la crise que nous traversons aujourd'hui est causée par la séparation, dans nos esprits, nos valeurs et nos systèmes politico-économiques, entre les êtres humains et le reste de la nature. La réduction des êtres vivants et des écosystèmes à des ressources naturelles à exploiter (ou à préserver seulement en vue d'une exploitation continuée) entraîne à la fois la destruction de la nature et celle des humains. Or, appuie Liz Hosken, nous possédons, dans la mémoire collective de l'Humanité, les éléments pour renouer une relation respectueuse avec la Nature; le problème est que les pays "développés" à l'occidentale se sont déconnectés de cette mémoire.


Les peuples indigènes, nous dit-elle, grâce à leur culture ancestrale, sont précisément ceux qui peuvent nous aider à redécouvrir en nous une relation harmonieuse avec la nature. La technologie et le consumérisme mondialisés ne sont que des phénomènes récents à l'échelle humaine et il est nécessaire de remettre en avant les graines de respect de la nature aujourd'hui oubliées. C'est pourquoi la lutte pour les peuples indigènes est, en même temps, une lutte pour que l'Humanité entière ne perde pas son identité et cesse de s'aliéner. Il ne s'agit pas de promouvoir aveuglément les cultures indigènes, qui ne sont évidemment pas parfaites, mais bien de reconnaître que leur histoire ancestrale véhicule quelque chose de fondamental pour tous les êtres humains aujourd'hui.


Or, dans ces cultures indigènes, la Nature, les lieux naturels et les êtres vivants sont des sujets porteurs de droits fondamentaux en vertu de leur existence même (dans le langage moderne). C'est pourquoi la promotion des droits de la Terre Mère est en étroite relation avec celle des droits des peuples indigènes.

Une manifestation récente contre la construction d'oléoducs sur 1825 km aux États-Unis, à travers les terres sacrées du peuple Standing Rock Sioux. Les militants ne se proclament pas "protestors" mais bien "protectors" : leur lutte est bien pour la nature (notamment, les nombreuses rivières mises en danger par le projet). Image prise d'ici.


L'enjeu majeur : passer d'une vision anthropocentrique à une vision écocentrique


Selon Liz Hosken, le défi majeur dans la crise mondiale actuelle réside dans l'abandon d'une vision anthropocentrique du monde au profit d'une vision dite écocentrique. L'idée est de réorganiser les lois et les valeurs humaines afin de mettre la Nature au centre, et non l'être l'humain. C'est ce qu'indique, par exemple, ce passage-ci de la Déclaration des droits de la Terre Mère :


Les droits de chaque être [humain ou non-humain] sont limités par ceux des autres êtres, et tout conflit entre leurs droits respectifs doit être résolu d’une façon qui préserve l’intégrité, l’équilibre et la santé de la Terre Mère.


En cas de conflit entre des droits, c'est l'intégrité de la Terre Mère, et non ceux des humains seuls, qui doit être le repère pour penser les solutions.


Mais n'est-ce pas mettre en avant la nature au détriment de l'humain ? Au contraire, dit Liz Hosken, puisque l'Homme fait partie intégrante de la Nature et est en intime interdépendance avec tous les autres êtres vivants, une vision écocentrique est bénéfique pour l'Homme lui-même car garantit sa place harmonieuse dans la nature. C'est la vision anthropocentrique qui menace l'Homme en lui faisant croire qu'il peut s'épanouir par-dessus le reste du monde : en effet, ajoute-t-elle, les lois actuelles étant créées par et, surtout, pour les humains, le résultat est la consolidation du pouvoir des puissants dans leur exploitation sans limite de la nature, mettant en péril l'avenir de l'Humanité même.


Le mouvement juridique qui a pour but de créer un système de lois accordant des droits à la Nature est le mouvement dit de jurisprudence de la Terre (Earth Jurisprudence) dont Thomas Berry est un initiateur majeur.

Anthropocentrisme VS écocentrisme

(et même un anthropocentrisme patriarcal pour le coup !)

Est-on prêt pour un tel changement ?


Reconnaître des droits de personne à une rivière... Est-on prêt à cela ? Acceptera-t-on d'être sanctionné pour avoir jeté une bouteille en plastique dans l'eau ? Ou d'écoper de peines de prison pour avoir détruit un lieu naturel ou des êtres vivants ? En 2014 en France, un homme a été condamné à 1 an de prison ferme pour avoir torturé un chat. Certains crieraient à l'exagération ("tout cela pour un simple chat !"), d'autres applaudissent. Au moins pourrions-nous méditer sur la question posée par Kant ou Schopenhauer : peut-on être bon envers les autres humains si nous ne le sommes pas envers la nature ?


Concluons avec la remarque que les premiers concernés par l'instauration de droits de la nature ne seront pas les humbles citoyens mais plutôt les puissantes multinationales dont les activités polluantes se poursuivent allègrement au sein des lois actuelles où la nature est absente.


Merci infiniment à Liz Hosken !



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