L'humain, le cosmos et le divin, avec Michel-Maxime Egger
Notre passage en Suisse nous a également permis de rencontrer et d'interviewer Michel-Maxime Egger, sociologue et éco-théologien de confession orthodoxe, à propos de l'écospiritualité et l'écopsychologie, notions sur lesquelles il a écrit plusieurs ouvrages ! Il est le fondateur et l'animateur d'une plateforme web, www.trilogies.org, qui met en dialogue l'écologie avec les traditions spirituelles. Il co-dirige également la collection Fondations écologiques chez l'éditeur suisse Labor et Fides. Enfin, il est actuellement responsable d'un laboratoire pour la transition intérieure dans l'ONG suisse Pain pour le prochain à Lausanne, où nous avons pu le rencontrer!
Écospiritualité
Michel-Maxime Egger part du constat, partagé par de nombreux penseurs (pensons à Mohammed Taleb et Arne Naess par exemple), que la crise écologique n'est pas seulement une crise matérielle et contingente, mais une véritable crise spirituelle. Le problème, nous dit-il, vient de la séparation entre l'humain, le cosmos et le divin. Avec sa notion d'écospiritualité, il cherche à remettre à l'avant-plan l'unité profonde entre l'écologie et la spiritualité!
Pour ce faire, il va puiser dans la tradition chrétienne orthodoxe. Mais la tradition judéo-chrétienne ne serait-elle pas justement coupable de cette séparation entre l'homme et la nature, comme le prétend Lynn White? Elle est effectivement en partie responsable, nous dit Michel-Maxime Egger. L'interprétation des textes bibliques par l'institution de l'Eglise a en effet glissé du côté de l'homme dominateur de la nature. Sa lutte contre les croyances "païennes", son esprit patriarcal (car pour notre intervenant il est crucial de remettre à l'avant-plan les qualités dites féminines!), sa méfiance à l'égard du corps, son centrage sur l'homme, sa séparation entre le créé et l'incréé ont participé au désenchantement du monde. Mais il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain: les textes bibliques regorgent également de passages qui chantent la nature et sa beauté. D'ailleurs, le pape François invite dans son encyclique Laudato Si à rompre avec l'image de l'homme dominateur de la nature.
Michel-Maxime Egger nous invite alors à nous pencher sur la tradition orthodoxe, fidèle aux Pères de l'Eglise, qui contient une vision du rapport entre humain, cosmos et divin particulièrement intéressante selon lui. L'Orient chrétien, par son histoire, a ainsi été coupé de la modernité occidentale, ce qui peut lui donner un côté conservateur, mais ce qui l'a également préservé d'une certaine mentalité du progrès et de l'homme dominant la nature!
Mais quelle vision du monde se dégage donc de la tradition orthodoxe? Il s'agit en réalité d'un panenthéisme: ce qui signifie que Dieu est en tout et tout est en Dieu. Ce qui est différent du panthéisme, selon lequel l'univers est Dieu et Dieu est l'univers. Ainsi, le panenthéisme ne dira pas qu'un arbre est Dieu, mais que Dieu est présent, de manière mystérieuse, dans l'arbre (selon les théologiens orthodoxes, par le biais de ses énergies incréées ou de ses idées-volontés)... Dieu et sa création ne sont donc pas confondus, mais pas séparés non plus! Dieu est donc à la fois immanent et transcendant. Or, la tradition judéo-chrétienne occidentale a tellement mis l'accent sur l'aspect transcendant de Dieu qu'elle l'a complètement coupé de la nature... Ici, au contraire, la nature n'est pas qu'une réalité matérielle, mais elle est un mystère habité par le divin... La Terre est donc la maison de Dieu, ce qui donne à chacune de ses créatures une valeur intrinsèque! Michel-Maxime Egger note avec joie que le pape François, toujours dans son encyclique Laudato Si, ouvre également une porte au panenthéisme, en citant des évêques du Brésil qui disent que la nature est le lieu de la présence de Dieu, et que s'en rendre compte amène aux vertus écologiques...
Mais alors, quelle est la place de l'humain dans la nature? N'est-il qu'une créature parmi d'autres? Pour la tradition orthodoxe, l'humain est un microcosme, un petit cosmos, car à la fois il fait partie du cosmos, et à la fois il porte en lui tout le cosmos et ses règnes minéral, végétal et animal. Ce que l'on fait à la Terre, c'est donc à nous-mêmes que nous le faisons... Faits d'humus, nous devons donc être humbles! Et reconnaître nos frères et sœurs cosmiques, comme Saint François d'Assise le faisait si bien. Mais la tradition chrétienne reconnaît aussi la place spécifique de l'humain dans la création, car il a été créé à l'image de Dieu! L'humain est donc comme un être-frontière, étant à la fois matière et esprit, ce qui nous donne, nous dit Michel-Maxime Egger, la vocation d'être des traits d'unions entre la Terre et le ciel... L'humain est ici conçu comme étant le liturge de la création: il reçoit la création divine avec gratitude, la transforme avec respect, humilité, service et amour, pour la redonner à Dieu en signe de remerciement et la partager entre tous avec justice. Ainsi le blé et le raisin sont-ils travaillés par l'homme pour être transformés en pain et en vin, qui vont devenir les vecteurs du divin lors de l'eucharistie partagée entre tous. La nature et l'homme ont donc besoin l'un de l'autre pour atteindre le salut, car l'interdépendance est la clé de la création!
Écopsychologie
L'écopsychologie est une démarche interdisciplinaire, née aux Etats-Unis dans les années 60, qui vise à étudier les interrelations profondes qui existent entre la Nature et la psyché humaine, et ce tant au niveau théorique qu'au niveau pratique et thérapeutique, nous apprend Michel-Maxime Egger. L'idée est donc que nous pouvons relier le mal-être humain et les souffrances de la Terre! Si l'écopsychologie est très proche de l'écospiritualité, elle n'ouvre cependant pas à une dimension sacrée comme cette dernière.
Les écopsychologues remarquent ainsi que la psychologie traditionnelle s'est concentrée d'abord sur l'intérieur de la psyché humaine (pensons à Freud et à l'inconscient), avant de s'ouvrir sur le cercle familial et social, mais qu'elle a négligé le dernier cercle, celui qu'ils nomment joliment "la toile de la vie", et qui correspond grosso modo à la Nature, conçue un peu comme dans l'hypothèse Gaïa. L'idée étant que nous sommes fondamentalement reliés à la Nature, au point qu'elle fait partie de notre identité!
Ainsi, pour les écopsychologues, le fait que l'humain se soit petit à petit coupé de la nature pour vivre en ville est une des racines de la crise écologique, car il s'est par là-même coupé d'une dimension fondamentale de son identité... L'humain qui n'aurait pas été en contact avec la nature durant son enfance et sa jeunesse aurait alors une forme d'immaturité, d'incomplétude, voire de handicap, qui peut se traduire en une forme de mal-être. De la même manière, la Terre souffre de cette séparation (réchauffement climatiques, dégradations écologiques, etc.) ...
L'écopsychologie nous propose alors de nous reconnecter à la nature en nous et en dehors de nous (mais elle n'est extérieure seulement qu'en apparence), et cela peut commencer avec un simple arbre! Différentes pratiques de reconnexion commencent à émerger, sous la forme d'immersion dans la nature sauvage, de danse, de méditation, ou encore de véritables écothérapies. Comme exemple, Michel-Maxime Egger cite "le Travail qui relie" de Joanna Macy, qui connaît aujourd'hui un véritable succès, et que nous ne manquerons pas d'explorer!
Un tout grand merci à Michel-Maxime Egger!
Bibliographie
La terre comme soi-même: repères pour une écospiritualité, Michel-Maxime Egger, Labor et Fides, 2012.
Soigner l'esprit, guérir la Terre. Introduction à l'écopsychologie, Michel-Maxime Egger, Labor et Fides, 2016.