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Interview de Toni Frohoff, de l'association In Defense of Animals

La Californie est un Etat où beaucoup de choses se passent. Philosophes, associations, écovillages et autres communautés natives nous tiennent en haleine ! Nous avons enchaîné des interviews, souvent dans des villes différentes, affrontant les bouchons sur les routes, la chaleur sèche et les repas précipités. Mais ce n'est que du bonheur !


À Santa Barbara, nous avons rencontré la très gentille Toni Frohoff, chef de campagne pour l'association In Defense of Animals.

Cette association a pour but d’œuvrer en faveur de la "protection des droits des animaux, de leur bien-être et de leurs habitats". Toni Frohoff, docteur en biologie comportementale, y est la spécialiste des éléphants et des cétacés. En résonance avec l'interview de Roderick F. Nash, nous voyons déjà qu'il est question ici de droits des animaux. Après quelques difficultés à trouver un endroit calme (pour la prise de son), nous avons pu démarrer l'entretien. Voici quelques aspects qui ont été abordés.



L'antispécisme : l'espèce humaine ne devrait pas être une espèce privilégiée dans notre éthique


Une des positions couramment invoquées dans la question du droit des animaux est la position dite "antispéciste". Être antispéciste, c'est cesser de privilégier l'espèce humaine. Un argument central consiste à dire que même s'il y a de nombreuses différences entre les autres espèces et l'espèce humaine, il n'y a pas de différence significative du point de vue moral.


Voici un exemple d'argumentation. Chez les humains, il est mal de faire souffrir. Or, les animaux souffrent aussi. Donc, il est également mal de faire souffrir les animaux. Par extension, il est moralement condamnable de faire souffrir tout être vivant capable de ressentir de la souffrance. C'est une argumentation classique extrêmement répandue et cristallisée par les travaux de Peter Singer (voir cette interview). Ce raisonnement s'applique en particulier à tous les animaux de ferme, c'est pourquoi il occupe une place centrale auprès des défenseurs du végétarisme et du véganisme lorsque ceux-ci critiquent l'élevage industriel.


Voici un autre exemple d'argumentation. Les humains ont une conscience supérieure, et cela transparaît par exemple dans leurs émotions et leur langage. Mais les animaux aussi ont une conscience, un langage et des émotions, malgré que ceux-ci puissent être inconcevables par les humains. Par exemple, on a longtemps pensé que les méduses n'avaient pas de système nerveux central (donc pas de cerveau) et que, par conséquent, elles étaient des formes de vie primitives sans comportement complexe. On se demandait alors comment leur organisme pouvait survivre en l'absence d'une "tour de contrôle cérébrale" (sans parler de l'absence d'un cœur, de sang, et d'autres organes vitaux)... Aujourd'hui, on sait que les méduses possèdent bel et bien des neurones organisés en un réseau circulaire qui s'étend à travers leur corps. Elles n'ont pas de cerveau comme le nôtre, divisé en deux hémisphères, parce que leur corps ne possède pas une symétrie gauche/droite, mais une symétrie cylindrique. Certaines méduses (les cubozoaires) ont même de véritables yeux avec une rétine, et pourtant elles n'ont pas de cerveau ! Peut-on seulement, en tant qu'humains, imaginer comment elles "voient" le monde ?

Que peuvent bien voir les yeux de cette méduse ?


La conclusion est : les méduses ne sont pas inférieures, mais différentes. Les standards humains sont inadéquats pour juger les facultés des animaux. Par conséquent, les animaux ne sont pas inférieurs, mais différents, et l'humain n'a pas le droit de les exploiter. Remarquons que cet argument a la même saveur que les arguments antiracistes : "Ils ne sont pas inférieurs, mais différents".


Critiquer l'antispécisme, ou prôner le spécisme, revient à dire qu'il y a bel et bien une différence moralement significative entre l'espèce humaine et le reste de la nature.



Le végétarisme et le véganisme


L'association In Defense of Animals, au nom de laquelle Toni s'exprime, promeut le véganisme, c'est-à-dire le régime alimentaire dépourvu de tout produit d'origine animale (y compris les produits laitiers par exemple). Prôner l'antispécisme ci-dessus amène régulièrement à prôner le véganisme.


Est-il possible de manger de la viande tout en prônant un respect pour les animaux ? N'est-il pas possible, par exemple, de renoncer à toute viande élevée industriellement pour ne consommer que les animaux de ferme dont on soigne attentivement la vie, et que l'on tue sans douleur avec le plus grand respect ? Autrement dit, n'y a-t-il pas une façon plus "humaine" d'élever les animaux ?


Selon Toni Frohoff, la réponse est non : il n'y a pas de façon "humaine" de tuer un animal pour le consommer. Instrumentaliser une autre forme de vie pour ses propres besoins, c'est déjà ne pas la respecter à sa juste valeur.


Le débat est ouvert.



La question de la population humaine


Cet aspect n'a été que brièvement abordé lors de l'interview, et Toni Frohoff s'est ici exprimée en son propre nom. Néanmoins, il est régulièrement soulevé par les tenants de l'écologie dite "profonde". La question est la suivante : y a-t-il trop d'humains sur Terre pour permettre une organisation durable de la vie à l'échelle planétaire ?


Disons d'emblée que parmi ceux qui soulèvent sérieusement la question, rares sont ceux qui prétendent qu'il faut éliminer des humains pour diminuer la population ! La question porte plutôt sur le taux de reproduction de la population, c'est-à-dire sur les méthodes de contrôle ou de planification des naissances.


À l'heure actuelle, certaines études affirment qu'il est parfaitement possible de nourrir toute la population avec les ressources existantes, et cela sans mettre en danger les générations futures. Personnellement, j'y crois, mais je n'ai bien sûr pas les compétences pour en juger rationnellement. Cela dit, peu importe s'il est possible de nourrir la planète aujourd'hui précisément. En effet, les ressources planétaires sont finies, donc elles ne peuvent servir à nourrir, à un instant donné, une population infinie. Par conséquent, il y a, au moins en théorie, une population maximale supportable par la planète. Que faire si l'on atteint, dans un jour futur, cette population maximale ? (Qu'elle soit de 10 milliards, 20 milliards ou 100 milliards...)

Dans les grandes villes américaines, le sentiment d'une surpopulation est fort...


Par ailleurs, nourrir la population n'est pas la seule préoccupation. Il y a aussi, par exemple, l'usage de la terre : s'il faut transformer 100% des terres disponibles en surfaces agricoles, est-ce désirable ? Comment la disparition de la nature sauvage va-t-elle impacter notre qualité de vie biologique, mentale, culturelle ou spirituelle ?


Enfin, la question démographique est directement liée à celle de l'empreinte écologique. Si nous sommes 7 milliards, chaque humain a "droit" à une certaine empreinte écologique calculée pour une survie durable. Si la population augmentait indéfiniment, l'empreinte "permise" diminuerait jusqu'à nécessairement descendre sous un seuil difficilement supportable (scénario de science-fiction : un futur où le simple fait de respirer est déjà trop polluant).


Questionner la taille de la population humaine renvoie, in fine, à la place globale de l'humain au sein de l'hyper-écosystème planétaire.


Le débat est donc complexe et en grande partie mené par l'écologie profonde. Celle-ci jouit, en Europe, d'une réputation relativement mauvaise, notamment parce qu'elle aborde la question de la démographie. Mais si la question n'est pas encore pertinente à l'heure actuelle, il est possible qu'elle le devienne dans le futur.




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