La fin de l'exploitation animale, avec L214

Troisième round à Paris sur la cause animale, avec Brigitte Gothière, une des cofondatrices de l'association L214! Ce nom étrange vient en réalité d'un article du code rural français de 1976, qui mentionne pour la première fois que les animaux sont des êtres sensibles...

Les missions de L214

La mission à court terme d'L214 est d'informer le public des conditions d'élevage et d'abattage des animaux qui finissent dans nos assiettes. Au travers de caméras cachées ou de membres de l'association infiltrés, ils réussissent ainsi à obtenir des images et des vidéos de l'envers du décor: des images souvent insoutenables, révélant une violence extrême envers les animaux. Ainsi, leur toute dernière campagne montre les conditions d'élevage des cochons dans deux élevages du Finistère fournissant la marque bretonne Hénaff, réputée pour son pâté. On découvre ainsi des cochons enfermés sur un sol en béton, des truies immobilisées dans des cages exiguës, des cochons aux queues mutilées, des blessures non soignées, des cadavres de porcelets entassés, des cochons agonisants ou morts dans les couloirs...

Et ce n'est malheureusement qu'un exemple parmi de nombreux autres: chaque nouvelle enquête révèle de la souffrance animale. Souvent, d'ailleurs, L214 révèle de véritables infractions aux actuelles normes de protection animale, et porte ainsi plainte, tandis que les élevages tentent à leur tour de porter plainte contre les militants d'L214. Des abattoirs ont ainsi été fermés temporairement (comme l'abattoir bio du Vigan), des travailleurs licenciés, etc.

Mais L214 veut aller plus loin. Brigitte Gothière précise que leur but à long terme est bel et bien d'abolir l'exploitation animale tout court. Car pour eux, les dernières données scientifiques, tant sur l'éthologie animale et que sur la possibilité nutritionnelle de se nourrir sans produits d'origine animale, remettent sérieusement en question le fait de continuer à exploiter les animaux. Ils soutiennent ainsi ouvertement le véganisme, un mode de vie consistant à ne plus causer d'exploitation animale, que ce soit pour se nourrir, pour se vêtir, pour se soigner, etc. Exit donc la viande, mais également le lait et les œufs, le cuir, la fourrure, les cosmétiques et médicaments expérimentés sur les animaux, etc. ... dans la mesure du possible. L214 encourage donc les restaurants à proposer une alternative végan, donne des informations nutritionnelles, etc.

Ils soutiennent également le développement de l'agriculture biovégétalienne, qui se passe d'intrants d'origine animale.

Un sentimentalisme?

Comme vous pouvez vous l'imaginer, les vidéos d'L214 et leur mission d'abolition de l'exploitation animale font réagir, et ce dans tous les sens. Certains les accusent ainsi de sentimentalisme et de généralisation : on les accuse ainsi de faire appel aux sentiments et non à la raison, et de faire croire aux gens que tout élevage est nécessairement aussi cruel que celui qu'ils montrent dans leurs vidéos. Mais faire appel aux sentiments est-il nécessairement néfaste, avons-nous demandé à Brigitte Gothière? Non, répond-elle, car nos sentiments sont souvent justes. Il s'agit bien sûr de les confronter après à la raison, mais là également, dit-elle, la réponse sera la même. Accepterait-on ainsi de faire subir un même traitement à nos chiens et chats? D'ailleurs, Brigitte Gothière dit qu'elle fonctionne elle-même de manière très rationnelle: lorsqu'elle a arrêté de manger de la viande, elle a cherché tous les arguments qui la pousseraient à continuer à en manger... et elle n'en a pas trouvé qui résiste à un examen honnête.

Serions-nous prêts à manger notre chat, demande Brigitte Gothière?

L'élevage éthique, un contresens?

Quant à la possibilité d'un élevage qui soit éthique, Brigitte Gothière n'y croit pas. En admettant qu'il soit possible d'élever et de tuer l'animal sans provoquer en lui aucune souffrance (ce qu'elle a déjà du mal à croire), de quel droit nous approprions-nous la vie des animaux? Ferions-nous pareil avec d'autres êtres humains ou avec nos chiens et chats? Si non, alors, pourquoi le faire avec les animaux d'élevage? Simplement parce qu'ils sont d'une autre espèce? Brigitte Gothière se revendique ainsi de l'antispécisme, notion inventée par Peter Singer pour dénoncer le fait que nous privilégions moralement l'espèce humaine avec comme unique argument cette appartenance à une espèce donnée (tout comme le racisme décrétait sans autre argument une race supérieure à une autre, ou le sexisme un sexe supérieur à un autre).

Que faire alors avec les éleveurs qui disent sincèrement aimer leurs animaux? Brigitte Gothière nous a ainsi révélé que de tels éleveurs, après avoir vu les vidéos venant des abattoirs, ont appelé l'association, paniqués. Car voir partir à l'abattoir des animaux dont on s'est occupé durant plusieurs années est toujours une étape difficile. Brigitte Gothière croit qu'ils se forcent à aller au-delà de leurs émotions, justement. Elle déplore également que les métiers actuels où l'on peut être en contact avec les animaux, sont souvent des métiers où on les exploite...

Un exemple récent: un éleveur anglais, Jay Wilde, a décidé de se reconvertir et de donner son troupeau de vaches à un sanctuaire. Plus d'infos ici

Un contrat entre l'homme et l'animal?

On entend également souvent l'idée, théorisée par Jocelyne Porcher, d'un contrat entre l'éleveur et ses bêtes: l'éleveur "donne la vie à l'animal", lui donne à manger, et en retour l'animal lui "offre sa vie". Or un contrat est censé être accepté par les deux parties: quand on voit la réaction de retrait, de stress et de peur des animaux face à la mort, on comprend vite qu'une partie n'a pas signé le contrat, nous dit Brigitte Gothière... Quant à l'idée d'un don de la part de l'éleveur qui exigerait un contre-don de la part de l'animal, à savoir sa vie, elle n'a pour notre intervenante aucun sens: depuis quand donner quelque chose à quelqu'un nous donnerait le droit sur sa vie? La bienveillance ne demande pas de retour, nous dit-elle...

Etre végan, ce n'est pas naturel?

Brigitte Gothière remarque qu'aujourd'hui, la nature est devenue une nouvelle "religion": ce qui serait naturel serait bon, et ce qui ne le serait pas serait mauvais. On oppose ainsi aux végans le fait que l'homme est naturellement omnivore, ou encore que prendre des compléments de vitamine B12 synthétique (cette vitamine ne se trouve en effet que dans les produits d'origine animale, et les végans en prennent donc sous forme de complément) serait contraire à une alimentation "naturelle". Or pour Brigitte Gothière, ce qui compte, ce n'est pas la nature, mais la justice! Elle remarque ainsi que personne ne s'offusque de porter des lunettes, ou des vêtements, qui ne sont pourtant pas "naturels"... Elle remarque également que les animaux d'élevage reçoivent également des compléments de vitamine B12, que nous ingérons donc via leur viande, ce qui rend la critique encore moins consistante. Les végans ne sont donc pas forcément des hippies prônant un retour à la nature ;-)

Manifestation pour la fermeture des abattoirs, à Paris le 10 juin 2017

À quoi pourrait ressembler une société végane et antispéciste?

Nous manquons pour cela d'imagination, dit Brigitte Gothière, se référant à la philosophe Florence Burgat (dont nous parlerons dans le prochain article). L'idée n'est pas, comme le craignent certains, de couper tout lien entre les hommes et les animaux! Au contraire, l'idée est d'apprendre à vivre avec les animaux, mais autrement, en coopération, sans les exploiter. Ainsi, là où les animaux sont les bienvenus pour brouter l'herbe, pourquoi ne continueraient-ils pas, sans pour autant être condamnés à mort, nous dit-elle? La fin de l'élevage ne signifierait donc pas nécessairement la fin de nos pâturages. Et s'il peut y avoir un peu plus de forêts, c'est tant mieux! La question des produits d'origine animale comme les œufs pourra même se reposer à nouveaux frais: si une poule abandonne ses œufs et ne les couve pas, Brigitte Gothière a du mal à voir où se poserait le problème éthique de les consommer. Tout est ici à réinventer!

Si vous avez l'estomac solide, vous pourrez trouver les vidéos de L214 sur leur site internet.