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Le shinto est-il écolo ?

Inspirés que nous étions par les films de Miyazaki comme le célèbre « Mon voisin Totoro », nous avons décidé de nous intéresser à la potentielle composante écologique du shinto, « religion » japonaise millénaire.

Mon voisin Totoro, réalisé par le studio Ghibli en 1988. Le gros nounours à gauche est une divinité de la nature !


Pour ce faire, en plus de visiter de nombreux sanctuaires, nous avons interviewé deux intervenants aux visions divergentes : Mitsu Inui, prêtre shinto au Kamigamo-jinja à Kyoto, et John Dougill, historien ayant écrit plusieurs livres sur le shinto et tenant un blog justement intitulé « Green shinto ».

Mitsutaka Inui, prêtre shinto au Kamigamo-jinja,

l'un des plus anciens sanctuaires shinto du pays


John Dougill, professeur à l'université Ryukoku à Kyoto,

passionné par la culture shinto


Qu’est-ce que le shinto ?


Le shinto, littéralement la "voie des divinités", désigne la première des religions japonaises. Elle est présente depuis si longtemps que ses origines se sont perdues. On situe ses débuts officiels vers l'an -300, mais ses racines animistes précèdent largement cette date.


Selon le shinto, le monde est peuplé de kami, divinités créatrices du monde et régissant son fonctionnement. Les kamis se comptent par milliers, mais on considère que parmi les plus importants figurent Amaterasu (divinité du soleil), Hachiman (divinité de la guerre), Inari (divinité du riz et de la fertilité), Fujin (divinité du vent) ou encore Uzume (divinité de la gaieté).

Les premières fleurs de prunier au Kitano-jinja


Le renard, messager de la divinité Inari


Un chemin du célèbre sanctuaire Fushimi Inari, l'un des rares sanctuaires majeurs dont la divinité principale n'est pas un ancêtre de la famille impériale ! Ici est vénérée la divinité Inari du riz et de la fertilité.


Le portail shinto est un élément essentiel de l'architecture des sanctuaires. Ils marquent l'entrée sur un terrain sacré. Originellement, il y avait toujours 3 portails avant d'accéder au sanctuaire lui-même, dans lequel les divinités vénérées résident, selon la tradition, cachées derrière des portes fermées. Au Fushimi Inari, ce n'est pas un, ni deux, ni trois portails, mais des centaines qui s'enchaînent dans un long chemin sur la montagne!

À l'origine, les kami symbolisaient essentiellement les forces de la nature. Mais au 8e siècle, les croyances jusqu'alors éparses ont été organisées dans des traités fondamentaux de l'histoire du Japon (Kojiki, Nihon shoki). Ils ont établi officiellement l'ascendance divine de la famille impériale, descendante directe de la suprême divinité Amaterasu. C'est en vertu de cela que l'empereur est lui-même un kami (y compris encore aujourd'hui, pour une partie de la population).


Le shinto a donc acquis deux dimensions, la vénération des forces de la nature et la vénération de la lignée impériale et des ancêtres, donc de l'identité ancestrale du peuple japonais. Aujourd'hui, selon John Dougill, c'est surtout la deuxième dimension qui l'emporte...



Les formes de shinto


La pratique du shinto a pris de nombreuses formes différentes au fil des siècles. En particulier, le contact précoce avec la culture chinoise a fait du shinto une religion fortement syncrétique, ce qui explique pourquoi l'on trouve régulièrement des lieux de culte qui sont à la fois des sanctuaires shinto et des temples bouddhistes. Sans décrire l'histoire globale, que je ne connais guère, je mentionnerai toutefois deux éléments qui font écho à l'actualité contemporaine.


Le shinto nationaliste

Aux alentours du début du 20e siècle et jusqu'à la fin de la 2e Guerre Mondiale, l'État japonais a fortement promu une forme de shinto axée sur la vénération de la lignée impériale et les pratiques qui étaient présentes au Japon avant l'arrivée des spiritualités chinoises (bouddhisme, taoïsme). Le but était d'affirmer l'identité japonaise face à l'invasion des cultures étrangères. C'est ce shinto d'État qui a façonné l'idéologie du kamikaze lors de la Seconde Guerre. (Kami = divinité, kaze = vent, kamikaze = vent divin.)


Ce shinto nationaliste a été démantelé à la fin de la guerre. Cependant, selon John Dougill, on assiste aujourd'hui à une remontée de ce mouvement associé à l'extrême-droite politique. Pas plus tard qu'il y a quelques semaines, une nouvelle école primaire shinto (malgré la séparation actuelle État/religion) a ouvert où des enfants ont été filmés en train d'entonner en chœur des chants nationalistes et pro-Abe, l'actuel premier ministre (s'y joue donc un culte de la personnalité). Ainsi, la montée de l'ultra-nationaliste ne concerne pas que l'Europe ou les USA, mais également le Japon.


Le shinto populaire

Le 20e siècle voit également la mise en lumière, notamment par le célèbre ethnologue Yanagita Kunio (1875-1962), d'une pratique shinto beaucoup plus populaire, moins cadrée, plus axée sur la nature et le quotidien. Ce shinto est plus spontané et loin des dogmes officiels. Il aurait été la première forme historique de shinto. C'est cette approche que l'on voit par exemple dans les œuvres du studio Ghibli.


Le shinto populaire est avant tout le résultat d'une quête de sens et de valeur par le peuple lui-même, sans théorisation, ni systématisation, ni hiérarchisation. Il a également été fortement syncrétique, mélangeant allègrement, au fil des siècles, des éléments bouddhiques ou confucianistes.

Un petit autel modeste dans un sanctuaire peu fréquenté. Moins grandiloquent, moins touristique, mais peut-être tout aussi authentique et porteur de sens...



Le shinto est-il écolo ?


La réponse est : il peut l'être à condition de privilégier le respect de la nature présent dans les origines du shinto. Comme le dit Mitsutaka Inui, le prêtre shinto que nous avons rencontré : "L'appréciation de la nature est la première étape." Sentir le divin dans la nature est à l'origine des pratiques shinto. C'est pourquoi le sanctuaire sera presque toujours entouré d'une forêt, même au milieu d'une ville, mettra en avant des arbres ou rochers remarquables, ou, dans le cas du Kamigamo jinja, promouvra la préservation d'une montagne sacrée, sur laquelle les prêtres demandent de ne pas marcher, car la montagne héberge un kami. C'est pourquoi également l'eau de la ville de Kyoto est préservée, en tant que sacrée.


Toutefois, il semblerait que ce respect soit devenu mineur, notamment parce qu'il est considéré comme acquis. Ainsi, de nombreux Japonais diraient qu'ils respectent la nature, ce qui n'empêche pas la maltraitance animale, la promotion du nucléaire, le tri des déchets insuffisant, etc. Par exemple, un festival shinto traditionnel engendre du stress et de la souffrance physique pour les chevaux. Malgré de nombreuses dénonciations, la réponse officielle fut de dire qu'il s'agit d'une tradition japonaise, et qu'à ce titre elle doit être préservée. Même si un certain "greenwashing" (faire semblant par des discours et de la publicité que quelque chose est écolo alors qu'il ne l'est pas) est opéré, cela n'empêche pas certains sanctuaires de couper des arbres pour construire des parkings, et John Dougill dit ne jamais avoir vu de posters à l'entrée des sanctuaires promouvant des actions environnementalistes, mais bien des posters disant que le Japon est génial... On voit donc, comme dit précédemment, que le shinto est aujourd'hui, au Japon, vécu comme une fierté nationale plutôt que comme une religion réellement écolo.


Cependant, John Dougill nous a informé du fait qu'à l'étranger, notamment en Angleterre, son pays d'origine, des groupes néo-paganistes apparus dans les années 68 sont séduits et mettent en avant un shinto "vert", respectueux de la nature, vénérant les cascades, les arbres, les rochers, etc.


Il est intéressant à ce sujet de noter que les Japonais, pour leur part, côtoient en moyenne très peu la nature. Ils vont rarement se promener dans les bois et peuplent très peu les campagnes, par exemple. Beaucoup ouvrent grand les yeux quand je dis avoir campé pendant des mois dans la nature !


Ceci amène la question plus générale et passionnante de savoir quelle est la vision de la nature dans la culture japonaise. Un article prochain sur l'énorme art du jardin japonais, intimement lié aux spiritualités du pays, sera l'occasion d'aborder la question !


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