Chez les Mapuches
Après avoir quitté El Chalten, nous nous lançons dans la grande remontée de l'Argentine puis du Chili, en passant par les Mapuches, indigènes des lieux, puis en poussant jusqu'à Santiago! Ce que cela signifie? De longues heures de bus en perspective! Pas moins de 24h de bus nous séparent en effet de San Carlos de Bariloche, première étape de notre remontée! Après des heures et des heures de pampa grillée par le soleil, voir des lacs bleus entourés de collines boisées, ça change! Nous ne resterons cependant pas très longtemps dans cette ville fort touristique et aux accents suisses, se targuant de son chocolat et aux vitrines décorées de peluches de St Bernard. En effet, notre camping est situé loin du centre ville, et sans voiture c'est un peu la galère pour se déplacer... Nous nous remettons donc en route pour San Martin de los Andes, ville plus petite jouissant elle aussi de sa "plage" locale, à savoir un lac. Dans notre camping situé le long d'une rivière, une colonie de rapaces occupe les lieux, se nourrissant des déchets des campeurs... L'occasion de petites séances photos!
Nous décidons de louer une voiture pour un jour afin d'explorer les environs. Ce qui nous intéresse surtout, c'est de pouvoir voir les fameux arbres Araucaria Araucana, arbres que les Mapuches Pewenche considèrent comme sacrés (Pewenche signifie en effet peuple de l'arbre Pewen). Pour les voir, nous poussons jusqu'à la frontière chilienne, que nous franchirons en bus le lendemain, près du volcan Lanin.
Cet arbre natif de la région (surtout présent dans l'Araucania au Chili) fait l'objet de mesures de protection de la part du gouvernement chilien, car il se fait de plus en plus rare. Bao ayant lu les analyses de la géographe canadienne Thora Hermann, il m'explique ainsi que le gouvernement ferait bien de prendre en compte le fait que les Mapuches eux-mêmes participent à la protection de cet arbre, notamment par leur méthode de récolte de ses pignons. En effet, récoltant à la main, sous les arbres et sans grande assiduité (ils ne tiennent pas à prendre tous les pignons), ils participent de manière inconsciente, en écrasant les pignons aux alentours des arbres, à sa replantation. Les Mapuches Pewenche considéreraient cet arbre comme un frère de la création.
La lumière chaude de soirée me pousse à tenter un petit portrait paysage autour de ces arbres sacrés:
Munis de ces images et du témoignage de la géographe, c'est plein d'espoir de pouvoir interviewer des Mapuches sur le sujet que nous rejoignons le petit village de Curarrehue au Chili, où se tient la Feria Walung, un festival de gastronomie et d'artisanat Mapuche. La Feria Walung étant partenaire du Service Civil International, des volontaires du monde entier rejoignent le festival chaque été (austral) afin d'aider à son élaboration et à son maintien au jour le jour durant plus d'un mois. Nous retrouvons d'ailleurs à notre grande surprise deux Belges :-)
Cependant, tout ne se passe pas comme espéré. Les Mapuches sont méfiants et ne souhaitent pas être photographiés et filmés. Ils ont déjà subi des abus par le passé suite à une mauvaise utilisation de leur image. Notre connaissance très partielle de l'espagnol n'aide pas non plus les choses. Et une petite mise en contexte s'impose: comme décidément tous les peuples indigènes des Amériques, les Mapuches ont été et sont toujours persécutés. Les colons leur ont pris leurs terres, et aujourd'hui le gouvernement ne souhaite pas les leur rendre. Aujourd'hui, des multinationales du monde entier s'intéressent à leur rivière, et multiplient les projets hydro-électriques. Mais pour les Mapuches, l'eau est sacrée, et la confiner dans des tuyaux serait comme l'emprisonner. Ils mènent un combat contre ces projets depuis maintenant plus de 7 ans.
La rivière, qui s'emplit de brumes magiques au petit matin...
Dana, Suisse d'origine tchèque, qui s'est installée ici depuis 4 ans et suit de très près toutes les luttes des Mapuches, nous apprend que la situation de cette communauté en particulier reste encore privilégiée. Elle évoque une autre région, dont elle compare la situation à celle de la Palestine: les Mapuches y sont relégués dans de tous petits espaces aux abords de plantations de pins et d'eucalyptus, grosses plantations industrielles d'espèces qui pompent toute l'eau de la région. La grande majorité des plantations de ce type au Chili sont possédées en fait par seulement deux familles richissimes ayant construit leur fortune en endettant les Mapuches locaux puis en prenant leurs terres comme remboursement. Dans la pauvreté, contrôlés et provoqués par la police, les Mapuches tentent d'occuper de force ce qu'ils réclament être leurs terres. De nombreux faits divers concernent l'agression (parfois suivie de mort) de Mapuches par des propriétaires terriens. Réciproquement, des actes violents ont été commis par le passé par un groupuscule Mapuche: incendies de tracteurs ou de fermes qui dégénèrent et provoquent aussi des morts, etc. Dans les médias, les Mapuches sont présentés tout simplement comme des "terroristes", sans faire état des nombreuses injustices dont ils sont victimes.
Aujourd'hui encore, dans le contexte des incendies terribles qui ravagent 11 régions chiliennes (sur 15 !) en ce moment, certains s'empressent d'accuser les Mapuches d'avoir allumé les feux. On ne peut bien sûr écarter la possibilité, mais l'accusation nous semble un peu trop facile quand on sait que la culture Mapuche est centrée sur la Terre Mère, que le peuple Pewenche vénère les arbres Pewen natifs actuellement menacés par les incendies et vit grâce à ceux-ci. En effet, les monocultures de pins et d'eucalyptus massivement plantés depuis des décennies ont lourdement asséché les terres, et les sécheresses récentes ont terminé de transformer ces plantations en boîtes d'allumettes. Résultat : tout brûle, et le feu se propage aux forêts natives. C'est peut-être le plus grand désastre dans l'histoire du pays.
Dans ce contexte donc où les médias relaient les plus lourdes accusations contre les Mapuches, on peut comprendre que le moment n'est pas opportun pour s'adonner à des interviews filmées...
Nous avons aussi assisté à une réunion d'urgence des Mapuches dans la ruka, maison de terre, de bois et de paille, où l'on se réunit autour du feu pour partager et parler, en cercle, sirotant chacun à son tour le fameux maté. Ils ont mis l'accent sur le fait de s'unir, de continuer le combat pour leurs terres, pour la forêt et pour la rivière. J'ai pu immortaliser à la fin de la réunion la photo de leur manifestation, destinée aux réseaux sociaux. Seule photo que j'aurai pu prendre ici... Les volontaires internationaux y sont présents.
Le peuple Mapuche résiste pour la vie, la terre, et la liberté
Puis tout le monde s'en est retourné derrière son stand, à cuisiner des plats traditionnels, à fabriquer des tortillas ou du maté, ou encore à vendre des pignons fumés ou des sculptures sur bois locaux, attendant les quelques curieux qui s'aventurent dans le festival. L'endroit lui-même est situé en pleine nature, sous les arbres et au bord de la rivière, ce qui rend l'endroit charmant, surtout au petit matin...
L'occasion pour moi de me remettre à la macro-photographie, mais je ne sors pas trop longtemps mon appareil, de peur d'éveiller la suspicion des Mapuches...
Les chiens errants eux, sont loin d'être méfiants, et mon admirateur canin secret, peu avide de technologie photographique, finira par s'asseoir sur mon appareil, avide de recevoir des caresses ;-)
Nous repartirons donc de Curarrehue sans interviews, mais avec plus de connaissances!