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Faut-il être végétarien? Petite synthèse des arguments entendus

La question du végétarisme-végétalisme-véganisme est l'une des plus brûlantes, des plus débattues et des plus controversées dans le domaine de l'écologisme. Nos divers intervenants se sont exprimés sur le sujet, certains prônant le véganisme, d'autres le critiquant. Il est temps de faire une petite synthèse des arguments entendus!



De quoi parle-t-on ?


Les philosophes le savent bien: si on n'est pas d'accord sur la définition des termes utilisés, les confusions et incompréhensions arrivent vite! Tentons donc de nous mettre d'accord sur quelques termes phares, du moins dans le cadre de cet article, car je n'ai pas la prétention d'apporter ici les meilleures définitions possibles!

  • Végétarisme : Ce terme fait référence à un type d'alimentation qui exclut toute forme de chair animale (qu'il s'agisse de mammifères, d'oiseaux, de poissons, ou même d'insectes!). (Ceci dit! Beaucoup de gens qui se reconnaissent dans le végétarisme mangent quand même de la chair animale, par exemple des fruits de mer. Je ne les rejette pas ici, mais j'essaie juste de rendre le concept clair... )

  • Végétalisme : Ce terme fait référence à un type d'alimentation qui exclut non seulement la chair animale, mais également les produits d'origine animale comme le lait, les œufs ou même le miel. (Encore une fois, dans la pratique, les gens choisissent les aliments en fonction de leurs convictions personnelles: ainsi on pourra trouver des végétaliens acceptant de manger les œufs de leurs poules par exemple.)

  • Véganisme : Ce terme fait référence à un mode de vie basé sur le refus de l'exploitation animale. Outre une alimentation de type végétalienne, le végan fera également attention à ne pas porter de vêtements en cuir ou en fourrure animale, à ne pas utiliser de cosmétiques ayant été expérimentés sur des animaux, etc. (Ce terme est d'origine anglo-saxonne.)



Les principaux arguments entendus en faveur du végétarisme, végétalisme ou véganisme


J'ai classé ces arguments par ordre croissant d'impact sur le type d'alimentation et de mode de vie. Ainsi le premier argument est en faveur de manger moins de viande rouge, et le dernier en faveur d'un véganisme total.


Argument 1 : Il faudrait manger moins de viande rouge ou de viande transformée car celles-ci seraient nocives pour notre santé.


Il y a tout juste un an, l'OMS révélait des études selon lesquelles:

  • la consommation de viande rouge a été classée comme probablement cancérogène pour l’homme;

  • la consommation de viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme.

(Par viande transformée, l'OMS entend les saucisses, le jambon, le bœuf séché, etc.) L'OMS recommandait alors de diminuer la quantité de viande rouge et transformée dans notre alimentation, car le risque de cancer (principalement colorectal) augmente avec la quantité mangée. Ces produits seraient cependant bien moins cancérogènes que le tabac ou l'exposition à l'amiante.


D'autre part, la teneur en matières grasses et en sodium de ces viandes sont des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires et d'obésité.



On peut qualifier ce premier argument d'anthropocentriste: il s'agit de manger moins de viande non pour le bien des animaux, mais pour notre propre bien. De plus, il s'agit ici de s'inquiéter pour notre santé en tant qu'individu.


Il ne s'agit pas ici de végétarisme en tant que tel, mais seulement de diminuer la quantité de viande rouge et transformée de notre alimentation. Depuis peu, certains appellent ce régime flexitarisme.


Argument 2 : Il faudrait manger moins de viande bovine car leur élevage extensif est notablement polluant (dégradation des terres, émission de gaz à effet de serre, pollution de l'eau, perte de biodiversité, ...).


Selon la FAO et le GIEC, les filières de l'élevage ont émis un total estimé à 7,1 gigatonnes d'équivalent CO2 en 2005. Cela représentait 14,5 pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. L'élevage de bovins est le plus grand contributeur de ces émissions. Pourquoi? Plusieurs sources sont pointées du doigt: la génération de méthane lors de la digestion des ruminants ainsi que dans les déjections, l'alimentation du bétail (expansion des cultures fourragères et des pâturages au détriment des écosystèmes naturels) et l'énergie consommée tout au long de la filière.



Cet argument peut être uniquement anthropocentriste: il s'agirait alors d'éviter le réchauffement climatique parce qu'il pourrait affecter l'espèce humaine. Cependant, il s'agit ici de s'inquiéter de la survie de notre espèce toute entière, et également des générations futures. Ce n'est donc pas seulement une préoccupation individuelle ici.


Cependant, cet argument peut être également écocentriste: il s'agirait d'éviter le réchauffement climatique pour ses effets néfastes sur les différentes espèces animales et végétales ainsi que sur l'ensemble de la planète Terre. John Baird Callicott a ainsi énoncé cet argument dans une perspective écocentriste.


Cet argument mène, au moins, au flexitarisme.


Argument 3 : Il faudrait ne pas manger de viande, de lait, d’œufs issus de l'élevage industriel actuel car celui-ci génère de la souffrance animale.


Il suffit de penser aux poules vivant dans de petites cages, aux méthodes d'abattage des vaches, au gavage des oies, etc. pour être écœuré. Aujourd'hui, ces images dénonciatrices sont diffusées assez largement, mais ce phénomène est assez récent!

Mais en quoi boire du lait ou manger ses dérivés (fromage, etc.) génère-t-il de la souffrance animale?


En réalité, le processus de production du lait est directement lié à l'abattage de veaux et de vaches. En effet, pour que la vache produise du lait, il faut qu'elle attende petit. Mais si le veau est un mâle, il n'est plus utile dans la production de lait: il sera donc amené à l'abattoir. Par ailleurs, la vache étant engrossée très régulièrement, et son lait pompé en permanence, elle se fatigue plus vite que la normale, et devient moins productive. Elles sont donc souvent abattues à l'âge de 5 ans, alors qu'elles pourraient vivre entre 15 et 20 années de plus. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles les vaches laitières vivent génèrent stress et souffrance.

Cet argument peut être qualifié de pathocentriste: il s'agit de s'inquiéter du sort de tous les animaux sensibles (et seulement eux), pouvant ressentir de la souffrance. L'argument est que toute souffrance, quelle qu'elle soit, doit être évitée (et le contexte pratique amène à considérer différents degrés de souffrance).


Cet argument de la souffrance animale ne s'arrête pas au secteur de l'alimentation, mais touche toute exploitation animale génératrice de souffrance: l'expérimentation animale, les vêtements en peau ou fourrure animale, et même les zoos. C'est pourquoi cet argument mène généralement les individus à devenir vegan. Cependant, cet argument ne remet pas en cause un élevage sans souffrance des animaux. Ce n'est pas la mort des animaux qui est ici pointée du doigt, ni leur utilisation par l'homme, mais bien la souffrance générée. L'argument peut donc aussi mener à un régime avec de la viande d'élevage "éthique" (en boycottant l'élevage industriel).


Il s'agit de la thèse défendue par Peter Singer.


Argument 4 : Il ne faut pas exploiter les animaux, sous quelque forme que ce soit, car c'est les instrumentaliser en tant que ressources dont nous disposons, alors qu'ils ont des droits fondamentaux et/ou une valeur intrinsèque au même titre que nous.


Pour justifier l'attribution de ces droits, certains argumentent en montrant les similitudes qu'ont beaucoup d'animaux avec les humains (intelligence, sens de la famille, sens de l'humour, langage, etc.) et les avancées récentes de la science contemporaine vont en ce sens, comme nous l'a montré la biologiste comportementale Toni Frohoff. Par exemple, le porc a une intelligence beaucoup plus grande que ce que nous voulons bien penser, et les poissons jouent entre eux!


Mais d'autres (y compris Toni Frohoff) veulent aller plus loin et octroyer des droits à tous les animaux, indépendamment de leur ressemblance avec nous. Pour le moment, la loi ne reconnait que deux types de catégories: les personnes ou les objets... Devinez où se trouvent les animaux?

D'autres encore, comme Lori Gruen, ne souhaitent pas parler en terme de droits, mais en termes de bonnes relations empathiques avec les autres êtres vivants, des relations dans lesquelles nous respectons l'autre dans sa différence.


Toutes ces argumentations pointent dans la direction du véganisme. Ici, tout élevage sera considéré comme mauvais, même s'il est sans souffrance. Il s'agit ici d'un véritable antispécisme: les animaux n'ont pas moins de valeur morale que nous.


Notons ici une chose intéressante: il n'y a pas d'argument ici qui amène seulement au végétarisme et pas au véganisme! Souvent les végétariens ne sont pas végans car cela demande beaucoup plus d'efforts dans la vie de tous les jours (trouver tous les substituts alimentaires pour rester en bonne santé, trouver des produits non testés sur des animaux, des vêtements en matières végétales ou synthétiques, etc.), ce qui peut vraiment être difficile dans la société actuelle.




Quelques contre-arguments fréquents et les réponses des philosophes


Face à ce mouvement, de nombreuses critiques sont souvent émises. Nous avons pris le temps d'adresser ces contre-arguments à nos intervenants défendant le véganisme. Voici ce qu'ils nous ont répondu!


Contre-argument 1 : Mais dans la nature, les animaux se mangent bien entre eux! Les considérez-vous comme des criminels? Et puis l'homme est naturellement omnivore!


A cette critique très répandue, Peter Singer a répondu ainsi: nous n'imitons pas la nature dans bien des aspects de notre vie, pourquoi devrions-nous l'imiter dans celui-ci?


Je me permets d'extrapoler car je pense que nous touchons à un point très important: contrairement à ce que l'on pourrait penser d'emblée, les végétariens-végétaliens-végans ne peuvent pas logiquement considérer que l'homme est strictement pareil aux animaux. L'homme est au contraire considéré comme différent du reste du monde animal par son degré de réflexion éthique plus élevé concernant son alimentation. (Je parle de degré plus élevé car les recherches scientifiques récentes révèlent des comportements "éthiques" dans le reste du monde animal: les éléphants qui pleureraient leurs morts en sont un exemple.) C'est précisément cette différence, cette spécificité qui l'amène à changer son comportement alimentaire, pour qu'il soit plus respectueux du reste du monde vivant. C'est pourquoi même si l'homme est naturellement omnivore, cela ne l'empêche pas de décider rationnellement et éthiquement de changer son mode alimentaire! (Alors qu'aucun autre animal omnivore ne renonce à une proie si elle est disponible.)


La plupart des penseurs prônant le véganisme, y compris Peter Singer, ne voient pas de problème dans la prédation naturelle dans le reste du monde vivant. Ces animaux n'ont pas vraiment le choix ni accès à un niveau de réflexion assez élevé pour prendre pareille décision. De plus, l'écosystème fonctionne ainsi. Si certaines espèces ne sont plus chassées par d'autres, elles risquent de pulluler. L'homme, lui, est récemment "sorti" de l'écosystème: il se nourrit non plus d'espèces sauvages, mais d'espèces "domestiquées". Il peut donc se permettre de faire des choix.


Cependant, un philosophe espagnol va jusqu'à condamner la prédation dans la nature. Nous espérons le rencontrer pour en savoir plus sur ses convictions!


Contre-argument 2 : Mais si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, on ne pourrait même plus manger les plantes!


Suivant l'argument numéro 3, qui s'inquiète de la souffrance animale, Peter Singer nous a répondu que si on a effectivement reconnu que les plantes réagissaient à leur environnement, elles n'en avaient pas pour autant un système nerveux: pour lui, elles ne souffrent donc pas, et peuvent donc être mangées.


Suivant l'argument numéro 4 basé sur les bonnes relations, Lori Gruen nous a répondu que l'empathie telle qu'elle l'envisage ne peut se faire qu'avec des êtres ayant une certaine vision du monde, ce que ne semblent pas avoir les plantes (même si elle n'en est pas si sûre).


Suivant l'argument numéro 4 basé sur les droits, si on commence à donner des droits aux plantes, la question se pose en effet. Toni Frohoff répond alors que le mieux que l'on puisse faire pour tenir compte des plantes également, serait de ne pas manger de la viande, car comme dit plus haut, leur élevage consomme beaucoup plus de plantes que si nous nous nourrissions directement de plantes.


Ceci dit, certains prétendent pouvoir vivre sans rien manger du tout (et se nourrir seulement de lumière)! Personnellement je n'y crois pas, mais nous aurons l'occasion d'approfondir le sujet dans le reste de notre périple!


Contre-argument 3 : De toute façon ces animaux vont mourir de mort naturelle, alors autant les manger!


Suivant l'argument numéro 3, abréger la vie d'un animal qui souffre (par euthanasie) est une bonne chose. On peut penser à un chien en fin de vie par exemple. Mais dans le cas de l'élevage industriel, c'est l'homme qui crée la souffrance animale! C'est même l'homme qui fait se reproduire les animaux et qui crée donc "des vies à tuer"...


Suivant l'argument numéro 4, les animaux ont le droit à une vie autonome et ne peuvent être considérés comme des "ressources" à notre disposition, susceptibles d'être "gaspillées" si on ne les consomme pas. De plus, l'homme n'aurait pas le droit de décider de la durée de vie d'un animal.


Contre-argument 4 : Mais alors, vous considérez les non-végétariens comme des criminels (notamment les peuples indigènes dont on prône la reconnaissance...)?


Lori Gruen, suivant une approche écoféministe, nous dit qu'il faut toujours tenir compte du contexte. Ainsi, si un peuple n'a pas d'autre choix que de se nourrir d'animaux (elle a pris l'exemple des Esquimaux), il ne faut pas les considérer comme des criminels! Mais en Occident, les gens ont le choix et n'auraient donc aucune excuse!


Caressa Nguyen nous a également apporté des éléments d'informations sur la conception de la nature des Natifs Américains. Ceux-ci ont beaucoup de respect pour les animaux, qu'ils considèrent comme leurs frères et sœurs de la Création. Avant de prendre une vie, ils demandent toujours la permission, et rendent hommage à l'esprit de l'animal. Ceci dit, il semblerait qu'ils pensent également que le rôle des animaux dans la Création soit de nourrir l'homme (à part les grands prédateurs comme les ours et les loups, qui sont vénérés).


Comme évoqué plus haut, l'homme moderne occidental est "sorti" de l'écosystème. A ce titre, il peut donc remettre en question des "prédéterminations" naturelles, comme le fait de manger de la viande.


Contre-argument 5 : Le véganisme, c'est un truc de riches!


Les bouddhistes pratiquants sont végétariens (nous étudierons cette spiritualité/philosophie plus avant dans la suite de notre périple). On ne peut pas dire que les bouddhistes soient riches (du moins financièrement ;))! Matthieu Ricard est d'ailleurs un des grands défenseurs du végétarisme.

Il est vrai qu'aujourd'hui nous avons accès à davantage de ressources (comme des substituts de protéine animale via le soja, etc.) et plus de connaissances scientifiques nous permettant de nous passer des produits d'origine animale sans manquer de fer, vitamines, etc.


Roderick Nash fait également la réflexion que l'éthique environnementale ne serait que la suite logique de l'extension des droits à une communauté de plus en plus large: d'abord les Noirs, ensuite les femmes, les handicapés, etc. C'est également l'argument de Peter Singer. En ce sens, le véganisme serait effectivement moderne!


Contre-argument 6 : Mais les cochons, vaches, poules sont des espèces qui ont été sélectionnées par l'homme depuis des millénaires. Que deviendraient-elles si on ne les élevait plus pour les manger? Ne plus les manger, n'est-ce pas aussi d'une certaine manière participer à leur extinction? (Émis par John Baird Callicott.)


Ce n'est pas faux, et Lori Gruen nous a d'ailleurs rapporté le cas d'un ami à elle qui s'est trouvé dans ce dilemme: ancien éleveur de cochons décidant de se reconvertir par conviction végane, il a dû se résoudre à amener ses cochons à l'abattoir!


Pour sa part, Peter Singer est moins préoccupé par la préservation d'une espèce que par la souffrance. Mieux vaut l'absence de cochons que la présence de cochons qui souffrent. De plus, le contre-argument a un côté cynique: dirions-nous que nous mangeons des animaux pour la survie de leur espèce?


Contre-argument 7 : Je ne veux pas être strictement végétarien ou végan parce que la viande, c'est bon !


Ce contre-argument peut paraître léger : comment peut-on comparer un simple plaisir gustatif personnel avec les enjeux éthiques de la consommation de viande ? Une formulation plus fine du contre-argument serait : je veux pouvoir manger de la viande par respect pour certaines valeurs personnelles ou culturelles. Par exemple, pouvoir partager un repas chez des invités, pouvoir manger les produits carnés ou laitiers de sa culture d'origine, etc. Une réponse diplomatique, dans la lignée des arguments 3 et 4, serait : respecter la culture, d'accord, mais on peut aussi œuvrer à faire évoluer cette culture dans une direction plus respectueuse de l'environnement; on peut respecter une culture sans être conservateur.



Bien sûr, il y a encore plein d'autres critiques, plein d'autres réponses, plein d'autres arguments! :)

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