Mission : Wolf
Le matin de notre départ de Memphis, je me réveille avec un mal de gorge: l'air conditionné américain a eu raison de ma santé! C'est dingue: il fait super chaud dehors, mais dedans, il fait froid! Nous prenons l'avion pour Denver. Le vol n'est pas terrible car s'y trouve une dame qui n'a jamais pris l'avion, et qui a gémi du début à la fin du vol, la pauvre!
Arrivés à Denver, une chose me frappe d'emblée: mais, il n'y a quasi que des blancs! Nous qui venons des ghettos noirs de la côte est, nous sommes frappés de voir à quel point la société américaine est divisée.
Nous avons loué une voiture et partons la chercher. Le vendeur essaie de nous faire augmenter le prix: "Quoi? Vous prenez une "compact car"? Mais vous ne vous rendez pas compte! Il faut au moins une "midsize"!" Nous résistons vaillamment à ses assauts publicitaires et prenons une assurance qui nous couvre tous les dégâts, ce qui nous semble une bonne alternative. Quand nous découvrons la soit disant petite voiture, nous éclatons de rire: la Chevrolet a un coffre assez grand pour mettre tous nos bagages, et Dieu sait que nous en avons!! La taille des voitures américaines n'a décidément aucune comparaison avec les voitures belges. Bao doit s'habituer à la conduite automatique: c'est parfois frustrant de laisser décider la machine à notre place!
Nous logeons via Airbnb chez Phanny la danseuse et ses deux chiens, dans un quartier résidentiel de Denver. Comme je suis malade, nous restons deux nuits pour nous reposer. Nous sommes heureux de pouvoir nous ravitailler en aliments bio pour un prix raisonnable. Nous partons enfin pour le but de notre arrêt ici: Mission : Wolf, un sanctuaire pour loups situé dans les montagnes du Colorado.
Nous sommes accueillis par une lumière sublime de soirée dans des paysages grandioses de collines d'herbe brûlée par le soleil: bienvenue au Colorado!
Mission : Wolf est situé face à un panorama sublime. Nous sommes accueillis par Kent, le fondateur du sanctuaire, avec son chapeau de cowboy. Très vite, nous sommes submergés par un son que nous entendrons souvent durant les deux jours que nous passerons ici: le hurlement des trente loups qui vivent ici. Le son est envoûtant et nous plonge directement dans une autre dimension.
Ce qui est adorable et triste à la fois, c'est que parmi les rescapés du sanctuaires, il n'y a pas que des "purs" loups, mais aussi des chiens-loups. Si vous écoutez le son jusqu'au bout, vous entendrez ceux-ci essayer d'imiter les hurlements des loups...sans succès! Vous remarquerez aussi que chaque loup a son propre hurlement, plus ou moins grave.
Le camping du sanctuaire est très sommaire, mais gratuit. Ils manquent d'eau ici, donc pas de douche ni de toilette à eau! Nous avons apporté nos bidons d'eau potable. Le temps est assez extrême: en journée le soleil tape très fort, la nuit il fait froid, il y a beaucoup de vent, et nous avons essuyé plusieurs tempêtes de pluie...mais notre tente résiste :)
La nuit, les étoiles brillent de mille feux et attirent Bao...
Le matin, un petit chipmunk téméraire a bien l'intention de partager le petit déjeuner de nos voisins de tente, et saute sur leurs genoux et table... :) Le lendemain nous lui offrirons notre croûte de pain sec, qu'il dévorera avec appétit pendant des heures!
Des volontaires nous accueillent pour faire le tour du sanctuaire. Tout a été construit à la main par des bénévoles, et tout est renouvelable! On trouve des tipis, des yourtes en verre avec des légumes, des maisons en terre, etc. qui servent à loger les volontaires qui travaillent là. Les loups vivent dans des espaces sauvages clôturés, souvent à deux ou trois (ou seuls s'ils ne supportent vraiment pas d'avoir un partenaire). Ils ont une bassine pour se laver et une pour boire (mais ils ne font pas trop la différence ;)). Leur espace est divisé en deux parties: une est visible des visiteurs humains, l'autre pas. Donc, s'ils n'ont pas envie de se montrer, ils peuvent! Ce sont eux qui décident de venir nous dire bonjour ou non. Le sanctuaire a d'abord été créé pour protéger les loups des humains. Ces loups sont tous nés en captivité, c'est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas être relâchés dans la nature: ils ne savent pas comment chasser, s'approcheraient des humains pour se nourrir, et risqueraient de se faire tirer dessus. Leur origine varie: certains ont été achetés par des particuliers qui souhaitaient en faire des animaux domestiques. Or, un loup n'est pas un animal domestique! Ses instincts sauvages arrivent vers la maturation sexuelle, et le loup a des comportements que ses maîtres ne comprennent pas et prennent pour une agression. Par exemple, pour se saluer, les loups reniflent les dents des personnes. Ils ont également une force physique impressionnante. Les vendeurs de loups promettent des mensonges aux gens et se font beaucoup d'argent. Ils vendent parfois des loups en disant que ce sont des chiens-loups, etc. Un cas intéressant a été rapporté: un couple végétarien a acheté un loup et a voulu le nourrir de la même manière. Le loup souffre de troubles à cause de cette alimentation (eh oui!).
D'autres loups ont été élevés pour jouer dans des films. Et quand on n'a plus (ou pas) besoin d'eux ou qu'ils deviennent incontrôlables, on s'en débarrasse! Aujourd'hui, les producteurs sont obligés de donner de l'argent aux sanctuaires quand ils se débarrassent de leurs loups vedettes. C'est un peu comme s'ils avaient leur compte en banque! D'autres encore viennent de zoos.
Le second but du sanctuaire est d'éduquer les gens aux loups. Kent, que nous avons interviewé, s'est rendu compte que les américains avaient une vision paradoxale et passionnelle du loup: soit ils en ont peur et veulent le tuer, soit ils les adorent et veulent en avoir un à la maison. Son idée a été alors de combattre ces deux préjugés en permettant aux personnes de venir rencontrer, toucher et comprendre de près les loups.
Ils organisent donc des tours gratuits pour visiter le sanctuaire, ainsi qu'une rencontre face à face avec leurs loups ambassadeurs. Les loups ambassadeurs sont ceux qui sont suffisamment habitués aux humains pour être amenés en "tour" dans des écoles et universités aux Etats-Unis, afin de sensibiliser les gens. Kent commence par expliquer aux gens comment se comporter avec les loups: marcher la tête haute pour ne pas avoir l'air d'être une proie, ensuite s'asseoir pour les saluer, montrer les dents (eh oui!) pour que le loup puisse les renifler et les lécher (eh oui!!!), ensuite les caresser par le bas. C'est la manière des loups de dire bonjour. Ce qui veut dire également qu'ils ne le font qu'une fois par jour par personne!
Nous avons demandé à Kent si cette expérience offerte aux visiteurs n'était pas un peu paradoxale, car les loups sauvages ne viendraient pas saluer les humains! Il a répondu qu'en effet, c'était paradoxal, mais qu'il s'était rendu compte que les gens avaient besoin de voir et de toucher pour comprendre. Nous rejoignons là l'empathie de Lori Gruen!
Pour nourrir les loups, Kent et sa troupe de volontaires organisent une "Big Feed" tous les trois jours, lors de laquelle les loups reçoivent plusieurs kilos de viande crue. La viande vient d'animaux en fin de vie donnés par des particuliers. Il s'agit notamment de viande de cheval. Une volontaire nous a expliqué qu'ils essayaient de tuer les animaux le plus humainement possible, et que la manière de les tuer variait en fonction de l'animal. Ainsi, les chevaux sont des animaux tellement grands que les euthanasier est long et douloureux: ils préfèrent alors les tuer par balle, ce qui est instantané et sans douleur.
Les trois photos de loups précédentes sont celles des loups ambassadeurs. John, qui s'occupe de la communication, m'a emmenée voir une autre partie du sanctuaire, fermée au public, où se trouvent les loups qui supportent mal la présence humaine. J'ai pu y rencontrer une louve très curieuse, à moitié aveugle, ce qui explique ses yeux noirs. En effet, les loups ont toujours des yeux jaunes voire verts, mais pas noir ni bleus. Leur queue ne touche pas le sol, ce qui les distingue des coyotes.
Comme Kent était diablement occupé et que nous avions peur de ne pas avoir le temps de l'interviewer, nous avons également interviewé John, qui a travaillé avec des loups depuis une dizaine d'années. Merci John!
Nous avons également eu l'occasion de rencontrer la femme de Kent, Tracy Ane Brooks, qui est spécialiste du langage corporel avec les animaux. Elle pratique la technique du "miroir" (elle imite le comportement de l'animal, qu'il soit cheval ou loup), pour calmer l'animal en douceur et le faire la respecter. Elle nous explique qu'aux Etats-Unis, la mentalité "cowboy" fait que les américains maltraitent souvent leurs chevaux pour les faire obéir, traumatisant ainsi les animaux. De plus, le gouvernement américain voit les chevaux sauvages comme une plaie qui vient brouter l'herbe de leurs vaches, et les capturent, enferment, castrent, séparent, brutalisent... Tracy vient de recueillir dans sa ferme un cheval sauvage. Elle nous a montré comment elle communiquait avec lui. Leur ferme est remplie d'animaux à poils et à plumes: lors de l'interview, nous avons eu la visite de leurs deux chats et deux poules (qui cohabitent très bien!), tandis que leur malamute pleurait au loin d'avoir été mis de côté :) J'adoore!! Nous avons également évoqué la question d'une relation thérapeutique homme-animal, valable dans les deux sens...
C'est le cœur rempli de belles rencontres, d'animaux somptueux et de paysages grandioses que nous quittons Mission : Wolf!