Middletown, New York et Memphis
Nous sommes actuellement à Denver où nous nous préparons pour aller camper dans les montagnes du Colorado, au sein du projet Mission Wolf. Les jours précédents, nous avons séjourné (brièvement) à Middletown, New York et Memphis. Il est temps de vous livrer quelques petites anecdotes sur ces séjours.
Middletown, Connecticut
Nous étions venu ici pour interviewer Lori Gruen (cf. l'article sur le sujet). Nous sommes arrivés en bus (depuis Boston) et nous avons pu loger chez une personne que nous avons trouvée via le site internet AirBNB. Pour ceux qui ne le savent pas, AirBNB est une plateforme qui met en contact des particuliers acceptant de proposer un logement (une chambre ou plus) à des voyageurs, le tout à petit prix en comparaison avec un hôtel. Le système marche du tonnerre, à condition de tomber sur les bons hôtes (vous comprendrez pourquoi dans quelques paragraphes...).
Notre hôtesse à Middletown a été Joëlle, une adorable dame de la Bretagne française qui habite une maison uuultra-mignonne et décorée de partout. On a adoré ! Notre chambre avait un style positivement kitsch, aux couleurs pastel, donnant presque l'impression d'une maison de poupées :) Joelle nous a chouchoutés et nous ne pouvions que succomber. Dès notre arrivée, elle nous a offert un délicieux repas et nous a pris dans sa voiture pour faire un tour de la ville (et repérer déjà la Wesleyan University, où nous devions aller le lendemain pour voir Lori Gruen).
Le lendemain, nous avons pris un bus local pour rencontrer la philosophe. Joelle nous avait proposé de nous y conduire, mais étant donné notre horaire et le sien, nous avons finalement pris un bus local. Notre hôtesse nous a confié que pour elle, l'idée que nous puissions prendre le bus ne la réjouissait guère. Nous ne comprenions pas vraiment pourquoi, puisqu'en Belgique, nous avons l'habitude d'emprunter les transports en commun...
Mais nous savons maintenant que les USA sont plutôt un pays fait pour la voiture. Les transports en commun locaux semblent plutôt réservés à la population moins riche, qui n'a pas les moyens de s'acheter une voiture, par exemple. Les bus ne coûtent pas cher du tout (quelques dollars maximum), mais le confort et le service sont très moyens. Notre hôtesse souhaitait probablement les meilleures conditions de transport pour nous, gros merci Joëlle !
New York, le côté obscur de la force
"On ne peut pas aller aux USA sans passer par New York." En général, nous ne prêtons guère attention à ce genre d'injonctions, mais nous avons quand-même décidé de faire un saut dans cette hyper-ville où il y a plus de gratte-ciels que d'habitants (ou presque) ! Nous avions prévu 4 jours sur place, mais un incident malheureux a réduit notre temps de visite à seulement 1 jour et demi... Que s'est-il passé ?
Les deux premiers jours, nous avons logé dans le quartier énorme de Brooklyn (très dense, aux rangées de maisons étroites), à l'est de Manhattan (le centre-ville réputé). À cause d'une indisponibilité annoncée tardivement, nous avons dû choisir rapidement un logement via AirBNB. À notre arrivée, les doutes commencent à nous envahir... La propriétaire (que j'appellerai P) nous informe qu'elle est en vacances et que c'est son copain (dénommé C) qui va nous accueillir. Depuis le bas de l'immeuble, nous appelons C au téléphone, il répond qu'il descend nous ouvrir.
Nous attendons 5 bonnes minutes, et C apparaît, à moitié vêtu : il prenait une douche. Il nous fait monter, nous montre les lieux et... ARGH : on dirait un kot d'étudiants guindailleurs mal entretenu ! Des mille-pattes dans la salle de bain impropre à la chambre poussiéreuse avec comme seuls meubles une table de chevet et un matelas posé par terre, il y a de quoi s'effrayer. Mais nous sommes vaillants, acceptons tout avec une sincère sérénité : après tout, nous serons des campeurs vivant avec quasi-rien pendant un an. Avoir un toit et de l'eau, c'est tout ce qu'il nous faut. Notre hôte C retourne continuer sa douche.
Ensuite, deuxième surprise : C ne possède qu'une seule clé pour accéder au logement, et cette clé est indispensable (la porte de l'immeuble se referme et se verrouille toute seule). Une seule clé pour C et nous... cela s'annonce mal. Il nous la prête le soir pour qu'on aille manger. À notre retour, C est entouré de potes bruyants mettant la musique fort... Heureusement, ils sont vite partis, aucune fête nocturne n'était prévue, ouf. C nous dit qu'il ira nous chercher une clé permanente le lendemain. Faisons confiance et allons dormir (sur nos propres matelas gonflables, bien meilleurs que le lit proposé).
Le lendemain, réveil relativement tardif (on avait besoin de se reposer des trajets de la veille). Tiens, C semble toujours dormir... Quand va-t-il se décider à nous donner une clé pour qu'on puisse sortir visiter la ville ? Il finit par se lever, et quitte le logement. On est donc seuls et enfermés... Trois heures (!) plus tard, C revient. La clé, enfin ! Que nenni : il nous dit que la clé est spéciale et que cela coûte 100 dollars pour en faire une copie, et que le précédent locataire AirBNB n'avait pas rendu son exemplaire, d'où l'unique clé actuelle. On n'a donc toujours qu'une seule clé pour tout le monde... et trois heures d'attente pour ça !
Après tergiversations, on réussit à obtenir la clé pour la journée, promettant à C qu'on rentrerait le soir. "Avant 1h du matin ?" nous avait-il demandé, nous l'avions rassuré : "avant minuit certainement, juste après le repas du soir". Ok, d'accord. Nous quittons alors le logement pour commencer une visite de la ville (je précise qu'à ce moment, il était déjà 15h au moins... la moitié de la journée était déjà perdue). On a eu le temps de faire des courses nécessaires pour notre road trip dans les parcs de l'ouest et de pavaner dans Manhattan. Chaleur, surpopulation, pollution sonore et visuelle... Bienvenue à New York.
De retour au logement, on voit que C est absent. On dépose la clé sur une table commune avant de se préparer à dormir. À 0h30, C m'appelle en me disant que son pote X allait passer 25 min plus tard prendre la clé et qu'il me demandait de l'attendre pour lui ouvrir la porte. J'accepte... Plus d'une heure plus tard, le pote X en question m'appelle pour me dire qu'il va arriver dans 30 min... 45 min plus tard, j'envoie un SMS à C pour lui dire qu'ils exagèrent et que j'aimerais bien dormir et qu'une telle désorganisation n'allait pas. Après 3h du matin, le pote X débarque. La sonnette me réveille, je vais lui donner la clé les yeux à moitié fermés. Le pote X va dans la chambre de C et s'y endort...
À 7h du matin, un type vient sonner et nous réveille. Je ne le connais pas et ne suis pas le propriétaire, donc je ne lui ouvre pas la porte. Je vais plutôt toquer à la chambre de C, où dort X. Aucune réponse. J'entrouvre la porte, je vois X complètement inerte (malgré les sonneries qui continuaient et mes appels). "Ok, c'est pas mon affaire", me dis-je. Je retourne me coucher. Pendant ce temps, le type dehors continue de sonner pendant (sans exagérer...) près d'une heure (pourquoi n'appelle-t-il pas C au téléphone ?).
Je n'arrive plus à dormir et comprends qu'il était temps d'aller séjourner ailleurs. Je fais des recherches sur mon smartphone (sur lequel j'ai pris un abonnement internet la veille, Dieu merci). Je trouve un logement, et fais la réservation.
Vers 9h, C vient défoncer la porte de notre chambre ! Il me gueule à la figure, affirmant que j'ai été irrespectueux envers lui, que c'est SA maison, que nous venons l'emmerder depuis un pays étranger et qu'il s'en fout si l'unique clé (ou tout autre chose) nous incommode. Ok, fini, il est temps de partir. On comprend parfaitement que la situation soit dérangeante pour lui, mais il ne semble pas réaliser qu'il en est le seul responsable. Un hébergeur qui n'a qu'une clé, et qui accuse ensuite l'invité des problèmes engendrés ! Sans oublier qu'on est enfermé et qu'il nous a imposé une nuit blanche. Inutile de discuter. Je suis le conseil d'Aristote, repris par Schopenhauer :
Le seul comportement sûr est donc celui que mentionne Aristote dans le dernier chapitre de son Topica : de ne pas débattre avec la première personne que l’on rencontre, mais seulement avec des connaissances que vous savez posséder suffisamment d’intelligence pour ne pas se déshonorer en disant des absurdités, qui appellent à la raison et pas à une autorité, qui écoutent la raison et s’y plient, et enfin qui écoutent la vérité, reconnaissent avoir tort, même de la bouche d’un adversaire, et suffisamment justes pour supporter avoir eu tort si la vérité était dans l’autre camp.
Schopenhauer, L'art d'avoir toujours raison, "Ultime stratagème"
Nous quittons les lieux illico et récupérons (via le système AirBNB) partiellement la somme déjà versée.
New York, le côté lumineux de la force
Nous rejoignons alors Mehreen, une seconde hôtesse AirBNB new-yorkaise. Là, c'est l'exact opposé de l'hôte précédent ! Mehreen est une dame adorable, d'origine pakistano-afghane, vivant dans une jolie maison de style ancien dans la ville de Newark (à l'ouest de Manhattan). Nous décidons de prendre un après-midi de relaxation au lieu de retourner dans le cœur mouvementé de Manhattan. Le soir, nous mangeons une pizza chez un pizzaiolo italien, heureux de pouvoir parler à des européens (il faut dire que nous étions une fois de plus dans un ghetto noir, la guettoisation est terrible aux Etats-Unis), et très chaleureux. Cela nous a remis du baume au cœur!
Jour suivant. En attendant un bus pour Manhattan, dans un quartier majoritairement noir, une dame blanche aux longs cheveux gris, en robe et portant autour du cou un ruban rempli de "Jesus" nous aperçoit et accoste Pascale : "I hope you're voting for Trump ?" Prise de court et ne voulant pas entrer dans un débat, Pascale explique qu'on vient d'Europe. Puis elle se tourne vers moi : " You're Christian, right?" "Go to this website, and you'll become Christian!" Hé oui, Trump et la religion, c'est du sérieux ici... Effrayant.
À Manhattan, nous commençons par le magasin B&H Photo Video. C'est un magasin de matériel photo réputé à New York (et dans le monde). Après notre expérience en Islande, nous avons décidé de modifier quelque peu notre éventail d'objectifs. Le magasin est absolument incompréhensible. Si l'on veut acheter un produit, on ne le prend pas en main ! Plutôt, on le signale à un comptoir qui nous remet un bon de commande à aller valider à la caisse. Quand cela est fait, on passe à un autre comptoir où une personne nous remet un sac avec nos produits achetés dedans... Au-dessus de nos têtes se trouvent des rails avec des caisses de produits qui circulent tout seuls dans tous les sens... Impressionnant. Et aussi : les vendeurs sont tous juifs et portent la kippa (apparemment, le magasin n'emploie que des juifs).
Passage ensuite par Times Square :
L'après-midi est consacré à Central Park, le plus grand parc urbain au monde (semble-t-il). Nous y avons passé un très bon moment, bien que l'on n'ait pu visiter qu'un tiers du parc.
La petite touche vénitienne de Central Parc...
Un perroquet du zoo de Central Park... En arrière-plan se trouve un papier-peint. Les troncs d'arbres sont artificiels !
Nous avons visité le zoo du parc, célèbre via le film "Madagascar", non pas tellement pour admirer les animaux, mais pour réfléchir à la condition animale dans les zoos, dont nous avons parlé notamment avec Lori Gruen et Peter Singer. Espaces étroits, stress dû à l'observation permanente des humains, troncs d'arbres et rochers artificiels, les défenseurs des animaux ont leurs raisons de condamner les zoos. Lori Gruen a proposé une nouvelle manière de faire des zoos: en faire des sanctuaires pour les animaux "réfugiés" dont leur espace naturel d'origine aurait été détruit, et où les besoins des animaux (en termes d'espace, de compagnie, de reproduction, etc.) seraient respectés, selon son empathie intriquée.
Il est intéressant de constater que le plus grand parc urbain du monde, contenant un zoo, divers lacs, une vaste végétation et même un museum d'histoire naturelle se trouve dans une hyper-mégalopole comme New York. Nous voyons que le parc est aimé de ses habitants : jogging, pique-nique, promenade, jeux, musique... Nous avons vécu une jam de percussionnistes qui nous a fait beaucoup de bien !
Il est beau de voir comment la musique (rythmique en l'occurence) peut rassembler les peuples et les générations! Nous sommes restés assis à côté des percussionnistes pendant bien deux heures, et avons pu voir la progression de leur succès. Les gens étant de nature timide (à part cette petite fille incroyable), il a fallu que quelques personnes commencent à danser pour que la foule s'amasse petit à petit. La scène ressemblait étrangement à celle du beau film "The Visitor", recommandé! Le tout a probablement été favorisé par l'ambiance relaxante du parc!
Pour nous, Central Park est une preuve que l'être humain a besoin de nature. Son immensité est à la mesure du besoin qu'il comble. Du coup, je serai curieux de découvrir la configuration d'une autre hyper-ville comme Tokyo... Ce sera pour 2017 !
Nous aurions aimé flâner sur la High Line, visiter le museum d'histoire naturelle, monter au Rockefeller Center, voir la ville depuis le Brooklyn Bridge et voir la Statue de la Liberté. Nous avons manqué de temps à cause d'un début de séjour gâché, mais nous avons quand-même pu nous imprégner quelque peu de l'ambiance de la ville. Le reste pour une autre fois !
Memphis, chez le philosophe John Baird Callicott
Étape suivante : la ville de Memphis où Callicott, grand nom de la philosophie environnementale sur lequel Pascale a fait son mémoire (!), nous attend à l'aéroport. C'est un homme doué de gentillesse et de simplicité, vêtu d'un t-shirt adapté aux 35°C de la ville. Nous nous alignons par terre pour lui exprimer l'honneur que nous avons de bénéficier de son hospitalité, il en rit et nous aussi.
Il vit près du centre-ville de Memphis et prend soin de nous parler abondamment de la ville. Extraordinaire capitale musicale, la ville propose également le National Civil Rights Museum, contenant le motel où Martin Luther King a été assassiné. On sent une culture chargée d'histoire.
Notre séjour chez Callicott fut fort agréable ! L'homme est d'une grande générosité. Les deux jours que nous avons passés chez lui ont été rythmés par les (très) longues interviews durant lesquelles nous avons abordé les questions les plus techniques qui soient ! Mais il nous a affirmé apprécier notre compagnie. Il nous a introduits aux restaurants marquants de la région (dont un typique Bar-B-Que servant un bon gros burger).
En plus des discussions philosophiques, nous avons également abondamment échangé à propos de musique, de la vie, de l'Europe et de tant d'autres choses. Callicott est connu pour ses théories, mais nous avons pu rencontrer l'être humain derrière. Un soir, nous avons cuisiné chez lui une de nos spécialités. Il a appelé son voisin d'en bas et nous avons passé une soirée chaleureuse à quatre à manger, boire du vin, rire et s'extasier sur ma manière de couper les oignons en morceaux (véridique !).
Lors des interviews, Callicott a manifesté une brillante capacité à distinguer et clarifier les idées. Ses explications nous seront fort précieuses pour nos films !
Sur cette image prise avant notre départ, on peut voir deux tableaux en arrière-plan. Ils ont été peints par son père, Burton Callicott, un artiste extrêmement réputé à Memphis. Il faut savoir que la ville est le lieu de toute une culture artistique locale. Là, personne ne sait que John Baird Callicott est un philosophe de renommée internationale, et tout le monde le désigne avant tout comme étant le fils du localement célèbre Burton Callicott !
Dans un article prochain, nous décrirons la pensée de Callicott.