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Qu'est-ce qu'une photographie ?

La photographie a un statut particulier dans le rapport de l'humain moderne à la nature.


En ce qui concerne notre voyage actuel en Islande, tout a probablement commencé lorsque nous avons, par le passé, vu des photographies de l'Islande. Notre imaginaire s'était alors mis en route, jusqu'à la réalisation actuelle de notre souhait de visiter ce pays. De plus, le premier instrument que les touristes dégainent lorsqu'ils rencontrent une scène naturelle remarquable est leur appareil photo. Un touriste-photographe, muni de son boîtier, de ses objectifs kilométriques et de son trépied, ressemble à une sorte de militaire en mission de reconnaissance.



Ces éléments me poussent inévitablement à me questionner sur mon propre usage de l'appareil photo. Lorsque je prends un cliché, suis-je en train, finalement, de faire comme beaucoup de touristes, c'est-à-dire de "capturer" la nature afin de la posséder dans ma collection de conquêtes exotiques ? La nature ne perd-elle pas quelque chose lorsqu'elle est figée sur une simple photo ? Ma perception de la nature n'est-elle pas bridée lorsque je la filtre à travers un vulgaire appareil technologique ? Ne devrais-je pas plutôt laisser l'appareil à la maison et aller embrasser la nature avec tous mes sens ? En somme, l'appareil photo est-il un obstacle à une authentique appréciation de la nature ?


Comme la photographie occupe une place centrale dans notre projet, je souhaite dire quelques mots sur mon (notre ?) approche de la photographie. Je ne parlerai que de la photo nature (de paysage), qui n'a peut-être que peu de liens avec les autres domaines tels que la photo de reportage, le portrait, la photo en studio, etc.


On peut prendre une photo de la nature pour plusieurs raisons. J'en citerai seulement deux.


D'abord, on peut souhaiter garder un souvenir de ce que l'on a vu. Lorsque j'ai aperçu pendant à peine quelques secondes un renard polaire au crépuscule, dans la péninsule du Snaefell, j'aurais aimé pouvoir en garder une petite photo, afin de pouvoir agrandir le cliché et mieux distinguer l'animal. Le moment a été éphémère, et la photo aurait été une matérialisation de cette expérience. L'image aurait complété et gardé mon souvenir à jour. En ce sens, la photo aurait été une extension de ma mémoire.


Mais surtout, lorsque l'on a vu quelque chose de particulièrement beau, on peut espérer que prendre une photo permettrait de revivre cette sensation de beauté en voyant la photo elle-même plutôt que la scène d'origine. L'image est ici plus qu'un souvenir; ce qu'elle a en plus est qu'elle est censée être belle. (J'utilise ici le mot "beauté" au sens très large de ce qui est remarquable et/ou plaisant aux yeux.) Une telle photo pourrait idéalement être exposée dans un cadre et susciter un sentiment de beauté chez un spectateur n'ayant pas vécu l'expérience d'origine.


Prendre une photo d'une belle nature est relativement facile : il suffit d'appuyer sur le bouton au bon moment (d'accord, avoir le rapace en plein vol bien net est quand-même difficile, mais admettons). Le véritable défi est : comment prendre une belle photo ? Nous avons tous constaté que photographier une belle scène réelle ne produit pas facilement une photo belle en elle-même. Les couleurs étaient si lumineuses et châtoyantes dans mon souvenir, pourquoi sont-elles si fades et mornes sur ma photo ? La cascade me semblait si imposante, pourquoi m'apparaît-elle anodine sur mon cliché ?


Ceci m'amène à la question centrale de ce petit texte.



Une photographie est-elle une reproduction d'une expérience visuelle ?


Malgré ce que l'on peut penser aux premiers abords, une photographie n'est pas une reproduction de ce que voit le photographe. On considère souvent que la peinture, par exemple, est plus artistique ou expressive parce qu'elle est intégralement produite par le peintre, alors que dans une photo, l'auteur ne s'exprime qu'à moitié (dans le choix du cadre, de la scène, etc.) et laisse ensuite la scène réelle faire le reste du boulot, c'est-à-dire s'imprimer telle quelle sur la pellicule.


Mais beaucoup de facteurs empêchent de voir une photographie comme une reproduction de ce que l'on a vu. Un des facteurs principaux est simplement le fait qu'un appareil photo est un objet très différent d'une paire d'yeux humains.


À bien des égards, l’œil humain est infiniment plus performant qu'un appareil photo. Par exemple, notre vue est capable, en un seul regard, de distinguer clairement à la fois des objets lumineux et des objets sombres, alors qu'un capteur d'appareil photo est très limité dans cette tâche. (Je parle ici de la plage dynamique.) Par exemple, notre œil distingue sans mal une montagne en contre-jour en même temps que les couleurs du ciel qui l'enveloppe. Par contre, dès qu'on essaie de prendre la scène en photo, on risque de récolter ceci (scène vue hier près d'un glacier) :

ou encore ceci :

Pourtant, ni l'une ni l'autre ne reproduit ce que j'ai vu !


Mais sous d'autres aspects, un appareil photo est plus performant que l’œil humain. Par exemple, une focale très élevée permet de voir "de près" un sujet très éloigné. Augmenter les "iso" permet de photographier une scène autrement trop obscure. Les objectifs macro permettent de magnifier de minuscules détails invisibles à l’œil nu.


Non seulement l’œil voit des choses qu'un appareil voit difficilement, mais l'inverse est vrai également. Une photo n'est donc, pour ainsi dire, jamais une reproduction de ce que voit l’œil.



Percevoir plus intensément la nature pour prendre une belle photo


Lorsque l'on se rend compte de ce qui précède, prendre une photo capable de véhiculer un sentiment de beauté que l'on a ressenti devient un réel défi. Je dirais que ce qui distingue le noble visiteur, muni d'un appareil, du photographe est que ce dernier est dans la quête d'une belle photo. Il voit la photo comme un futur objet à part entière, régi par ses propres lois, contraintes et forces, et tente de trouver un chemin dans cet autre monde pour arriver à la beauté.


Et comme une photo n'est pas une reproduction, si le photographe souhaite véhiculer un sentiment, il doit le produire dans sa future photo. Pour ce faire, il doit étendre sa perception, ses points de vue et s'immerger plus intensément dans la nature qu'il observe, afin de trouver l'inspiration, technique et esthétique, pour déclencher.


Ainsi, chez le photographe, l'appareil n'est pas un obstacle mais un tremplin pour une perception profonde de la nature.



Le développement du cliché et la production de l'image finale


L'ère numérique a alimenté l'idée qu'une photo est une reproduction, mais il n'en est rien. Un capteur d'appareil est un rectangle constitué de photosites qui convertissent des grains de lumière en électricité (merci Einstein et l'effet photoélectrique), puis en informations numériques sous forme d'un fichier informatique. Ce fichier ne contient que des nombres (0 et 1) qui encodent l'information reçue par le capteur.


Cette information, aujourd'hui numérique mais autrefois analogique dans les appareils argentiques, doit d'abord être lue et interprétée avant de produire une image. Cette étape constitue le développement de la photo.


Après tout le travail sur le terrain, et compte tenu des limitations techniques d'un appareil photo, la quête du photographe se poursuit lors du développement, lorsqu'il essaie de produire une image capable de refléter ce qu'il a ressenti dans la nature, ou ce qu'il souhaite véhiculer.


Un développement hâtif des clichés ci-dessus pourrait par exemple donner cette photo finale-ci :

Ce qui m'a séduit dans la scène d'origine, et que j'ai souhaité véhiculer, est la beauté du sillon en zig-zag qui sépare les deux plateaux, le tout aperçu sur le fond d'un doux ciel d'après-midi.


L'objectif est-il atteint ? Aucune idée... En tout cas, cette photo ne me paraît pas remarquable, ce qui s'explique peut-être par le fait qu'elle a été prise très rapidement, sans choix de focale, sans recherche approfondie sur le terrain, et sans la patience d'attendre un moment de la journée (voire, de l'année !) susceptible de mieux valoriser ce sillon.


Comme quoi, il n'y a pas de miracle. Prendre une belle photo est diablement difficile. Le chemin vers la belle photo est probablement celui de toute une vie. Gardons espoir...


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