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La Forêt Vivante de Sarayaku

Nous avons eu la grande chance de pouvoir rencontrer et interviewer à Liège deux membres d'une délégation féminine du peuple Kichwa de Sarayaku en visite en Belgique!

Sabine Bouchat vit depuis 30 ans dans le peuple Kichwa de Sarayaku et y a fondé une famille. Elle est conseillère technique du Conseil de Gouvernement de Sarayaku.

Samaï Gualinga est la dirigeante communication et transport du peuple Kichwa de Sarayaku. Après ses études supérieures à Quito, elle s'est dépêchée de revenir à Sarayaku afin de mettre ses nouvelles connaissances au service de la protection de son peuple. Le peuple Kichwa a ainsi créé des petits films et même un jeu vidéo, alliant ainsi le meilleur de la tradition et de la modernité!

Le peuple Kichwa de Sarayaku est un peuple originaire de l'Equateur de 1200 personnes environ. Ils vivent dans un village au cœur de la forêt amazonienne, de façon traditionnelle (pêche, chasse, agriculture et élevage). Ce peuple gère environ 135.000 hectares de territoires ancestraux. Ils dépendent entièrement des ressources de la forêt : plantes alimentaires et médicinales, bois pour les maisons et les pirogues, terre pour la céramique, etc. Leurs croyances sont animistes, mais il ne reste qu'une dizaine de Yachaks à Sarayaku, qui sont ce qu'on appellerait ici des "chamanes", des hommes de connaissances, des sages qui ont traversé une longue et difficile initiation. Le mode de gouvernement du peuple Kichwa est démocratique, et en ce moment c'est une femme qui en est la présidente : Mirian Cisneros (qui était également de passage en Belgique il y a peu). Cette reconnaissance du potentiel rôle de leader des femmes est assez récente à Sarayaku (c'est la deuxième présidente femme de Sarayaku, et c'est la première année où le nombre d'hommes et de femmes au gouvernement est le même!), et constitue un cas d'école dans un monde où les femmes sont souvent reléguées à leur rôle de mères et d'agricultrices. Mirian Cisneros racontait ainsi lors d'une conférence en Belgique que des hommes d'un autre peuple originaire équatorien étaient venus lui demander, après un discours qu'elle leur avait donné, si son mari était bien d'accord de la laisser quitter sa famille ainsi.


Traditionnellement, les hommes s'occupent de la chasse et la pêche, et les femmes de l'agriculture et de la céramique. Ce sont donc les femmes qui ont "les mains dans la terre", ce qui explique en partie leur implication important dans le combat pour la protection de la forêt!

Cependant, le peuple Kichwa, tout comme de nombreux autres peuples originaires de la forêt amazonienne, doit constamment se battre pour continuer leur mode de vie dans la forêt. Dans le passé déjà, ils ont dû lutter contre la colonisation, l'évangélisation et la culture du caoutchouc. Aujourd'hui, c'est l'exploitation pétrolière qui menace leur lieu de vie. En 2003, 600 ouvriers de la Compagnie Pétrolière, protégés par 400 militaires armés, ont envahi illégalement le territoire de Sarayaku afin d'y faire de l'exploration pétrolière. Pendant plusieurs mois, ils ont enfoncé sous terre des centaines de kilos d’explosifs. Sarayaku, et notamment les femmes, a opposé une résistance farouche et non-violente : campagnes sur le web, pétitions internationales, soutien d’organisations comme Greenpeace et Amnesty International, campements de la paix et surtout une plainte déposée devant la Cour Internationale des Droits de l’Homme (CIDH) contre l’État équatorien pour viol de sa Constitution. En effet, la Constitution précise depuis 1992 (depuis que les peuples originaires ont marché sur Quito pour le réclamer) que les peuples originaires possèdent leurs territoires, et que l'Etat doit leur demander la permission avant de procéder à leur exploitation, ce qu'il n'a manifestement pas fait! La CIDH (la plus haute instance judiciaire du continent américain équivalent de la cour de justice européenne de la Haye pour le continent américain) a jugé la plainte recevable et la Compagnie a été priée de se retirer des territoires peu de temps avant la mise à feu des explosifs ! Sarayaku a donc gagné le procès contre l'Etat équatorien. Cependant, l'accomplissement de la sentence est toujours en cours, puisque les explosifs n'ont pas encore été retirés...



Pour marquer les esprits, le peuple Kichwa a eu l'idée de planter des arbres à fleurs et à fruits sur le pourtour de leur territoire, afin de créer une "Frontière de vie" visible depuis le ciel! En plus de marquer leur présence au monde et leur lutte ancestrale, cette frontière de vie sera un lieu riche en biodiversité, nourrissant tant les hommes que les animaux!


Le plan de la frontière de vie


Enfin, et c'était l'objet de notre interview, le peuple Kichwa a officiellement proposé lors de la COP21 la création légale d'une nouvelle catégorie d'aire protégée: la Kawsak Sacha ("Forêt Vivante"). Dans un texte écrit grâce à la sagesse et à la connaissance des Yachaks, le peuple Kichwa propose de reconnaître le rôle des peuples originaires dans la protection de la forêt, ainsi que de reconnaître le caractère sacré, vivant de cette dernière.


Ainsi, pour le peuple Kichwa, la forêt est fondamentalement vivante. Elle est peuplée de personnes, visibles et invisibles, qui vivent elles aussi en société. Les Yachaks sont en communication avec les êtres suprêmes de la forêt. Ultimement, tous ces êtres font partie de la Pachamama, la Terre-Mère. La Kawsak Sacha est également ce qui mène au "Buen Vivir" ('bien vivre") en revitalisant ses habitants à tous les niveaux: physique, psychique, spirituel, etc. Sabine et Samaï insistaient ainsi sur le sentiment de liberté qu'elles ressentent en vivant dans la forêt à Sarayaku: pas de bouchons, pas d'horaire de travail, pas de supérieur à qui rendre des comptes! Bien sûr, il faut assurer sa subsistance en pêchant, chassant, etc., mais sans pression.


Dans cette vision du monde animiste, l'humain fait intégralement partie de la nature. Il s'agit d'un tout: si on détruit la nature, on se détruit nous-mêmes, et inversement, si on protège la nature, on se protège nous-mêmes! Pas question donc, comme dans les parcs nationaux américains, d'exclure les humains des zones protégées. Au contraire, ici, ce sont les peuples originaires qui se proposent comme protecteurs des lieux, car ils reconnaissent le caractère vivant et sacré de la forêt, et savent qu'ils ne sont pas supérieurs aux autres êtres de la forêt, mais de même niveau. Il s'agit donc d'une catégorie d'aire protégée inédite, car c'est la seule qui permettrait au peuple Kichwa (et potentiellement à tous les autres peuples originaires) de continuer à vivre sur son territoire! Par contre, les humains qui considéreraient la forêt comme une simple ressource dont tirer un profit financier ne pourraient violer l'intégrité de la forêt. Sabine et Samaï nous disent ainsi que le pétrole n'est pas considéré comme mauvais en soi par le peuple Kichwa, mais que sa vraie place est sous terre. En le sortant de terre pour l'exploiter, on dérange tout le cycle du vivant ainsi que les êtres invisibles qui y habitaient...


Avec cette proposition, le peuple Kichwa se situe dans la lignée de la reconnaissance des droits de la nature et des droits des peuples originaires. La forêt étant pour eux intégralement vivante et constituée de "personnes", il est logique pour eux de lui donner des droits à perpétuer son existence. Les droits de la nature sont de plus reconnus dans la Constitution équatorienne...mais sont sans cesse violés en pratique!

Mirian Cisneros, Ena Santi et Nina Gualinga lors de l'ouverture du Tribunal International des Droits de la Nature en 2015, en parallèle de la COP21 à Paris



Un tout grand merci à Sabine et à Samaï! Nous espérons pouvoir un jour nous rendre à Sarayaku. Nous sommes en admiration devant tout ce que ce peuple a accompli!



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