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Des droits pour les animaux, avec Florence Burgat

Quatrième et dernière intervenante sur la cause animale à Paris: Florence Burgat, philosophe et directrice de recherche à l'INRA! Elle s'intéresse à la phénoménologie de la vie animale, à la condition animale dans nos sociétés actuelles (occidentale et indienne), au "carnivorisme" de l'humanité au moment où l'on peut se passer de produits animaux et enfin au droit animalier, ce pourquoi nous sommes venus la rencontrer! Elle nous a gentiment reçus chez elle, en compagnie de son adorable chat :-) Nous avons pu aborder avec elle la question du droit des animaux.

Qu'est-ce qu'un droit?

Mais qu'est-ce qu'un droit au juste? Florence Burgat reprend la définition suivante: un droit serait un périmètre de sécurité tracé autour d'un individu, que les autres n'auraient pas le droit de franchir.


On distingue en philosophie le droit légal (le droit tel qu'il est écrit dans la loi) du droit moral (les droits justifiés par un raisonnement philosophique), et le droit positif (créé par les hommes) du droit naturel (préexistant dans la nature).


La législation actuelle


Mais quelle est la situation des animaux légalement parlant aujourd'hui? Eh bien, nous dit Florence Burgat, le législateur a séparé d'un côté les personnes, et de l'autre les choses, et il a mis les animaux dans les choses, faisant d'eux des biens dont le propriétaire peut disposer comme bon lui semble... Le droit de propriété étant un droit de détruire la chose possédée...


Pourquoi donner des droits aux animaux?

Le travail des philosophes est alors de tenter d'argumenter en faveur du fait que les animaux ont eux aussi des droits naturels et/ou moraux! Car pourquoi l'homme seul aurait-il ce privilège, demandent-ils? Sur base de quel critère de distinction? Si on se base uniquement sur le critère de l'espèce (je suis de telle espèce, donc j'ai des droits), on tombe dans ce que Peter Singer appelle le spécisme, qui se rapproche du racisme et du sexisme... Si on se base sur la raison que l'homme possède, on met alors de côté tous les hommes qui ont moins de raison (comme les handicapés mentaux, les bébés, etc.)!

Le philosophe le plus connu ayant travaillé sur cette question est sans doute Tom Regan, malheureusement très récemment décédé. Nous n'avons pas pu rencontrer le traducteur de son livre en français, Enrique Utria, alors Florence Burgat a accepté de nous parler de Tom Regan.


Selon Tom Regan, les "sujets-d'une-vie", c'est-à-dire les êtres qui ont des croyances (pas forcément des croyances complexes!) et des désirs, la perception, la mémoire, le sens du futur, une vie émotionnelle avec du plaisir et de la douleur, des intérêts, des préférences, un bien-être, la capacité à initier une action pour la poursuite de leurs désirs et leurs buts, et une identité psychophysique dans le temps, ont une valeur inhérente, c'est-à-dire une valeur en eux-mêmes, indépendante de leurs actes et qualités (donc même s'ils ont commis un crime ou sont sadiques par exemple), et de l'utilité qu'ils ont pour les autres (donc même s'ils ne sont pas "rentables" par exemple). Cette valeur inhérente est égale pour tous les sujets-d'une-vie, il n'y a pas de gradation (l'homme n'aurait donc pas plus de valeur qu'un autre sujet-d'une-vie). Notons que les critères précités pour être considérés comme un sujet-d'une-vie sont pour Tom Regan des conditions suffisantes mais pas nécessaires, il laisse donc le bénéfice du doute à des êtres qui n'auraient pas toutes ces caractéristiques. Mais pour lui on peut clairement dire que les mammifères et les oiseaux sont des sujets-d'une-vie. En vertu même de cette valeur inhérente, les sujets-d'une-vie ont selon lui des droits moraux de base.

Tom Regan


Un philosophe européen cette fois, et plus ancien, ayant travaillé sur cette question est Jean-Jacques Rousseau, sur lequel Burgat s'appuie. Pour ce dernier, les animaux ont des droits naturels (découlant donc de lois de la nature) tout simplement parce qu'ils sont des êtres sentients (entendez sensibles au sens large) capables de pâtir des actions violentes des hommes! Ils ont donc droit eux aussi à un périmètre de sécurité les entourant...


Une autre approche, que Florence Burgat trouve dangereuse, est l'approche cognitiviste. Selon cette approche, il s'agirait de reconnaître des droits aux animaux qui ont des capacités cognitives complexes, proches des nôtres. Cette approche a notamment été soutenue pour accorder des droits aux grands singes. L'écueil de cette approche, nous dit Florence Burgat, est de réserver les droits aux animaux les plus "intelligents", en somme ceux qui ressemblent le plus à l'homme, et donc de mettre de côté un grand nombre d'entre eux.


Quels animaux?

Mais de quels animaux parle-t-on? De singes, de vaches ou de fourmis?


Selon le critère choisi, les animaux dont on reconnaît les droits naturels et/ou moraux peuvent donc être différents! Les animaux sujets-d'une-vie, ou les animaux sentients, ou les animaux avec des capacités cognitives complexes?

Pour Florence Burgat, qui soutient le critère de la sensibilité, l'idée est premièrement de s'occuper du cas des animaux d'élevage (poules, cochons, vaches, poissons et autres), qui eux sont de toute évidence des êtres sentients. Pour le cas des insectes, nous verrons en temps voulu, répond-elle. Elle ajoute: n'esquivons pas la question des animaux d'élevage en ramenant tout aux insectes!


Quels droits?

Mais lorsqu'on parle de droits moraux et/ou naturels, ou plus généralement de donner des droits aux animaux, de quels types de droits parle-t-on?


Des droits fondamentaux comme le droit à ne pas être tué, ni torturé, ni enfermé, nous répond notre intervenante, assortis de droits liés aux spécificités propres de chaque espèce et de leurs besoins naturels. Il ne s'agit bien sûr pas de leur donner le droit de vote ou le droit d'aller à l'école, ce qui serait absurde car ne correspondant pas à leurs capacités.


Dans le même ordre d'idée, Tom Regan parlera du droit à un traitement respectueux (c'est-à-dire à être traités de manière cohérente avec la reconnaissance de leur égale possession d'une valeur inhérente), et le droit à ce qu'on ne leur fasse pas de mal.

Quelles conséquences pratiques?

Mais concrètement, qu'est-ce que reconnaître des droits aux animaux dans notre loi changerait en pratique?

Si de tels droits fondamentaux étaient reconnus aux animaux, cela aboutirait nécessairement à l'abolition de l'élevage (même celui dit "éthique", car il traite toujours les animaux en fonction des intérêts humains, et donc pas en tant que porteurs d'une valeur inhérente égale) et donc au végétarisme (et même au veganisme), ainsi qu'à l'abolition totale de la chasse, de la corrida, des zoos et de l'expérimentation animale.


Dans ce monde où les animaux auraient ces droits fondamentaux, tuer un animal serait donc devenu un crime (sauf en cas de légitime défense bien sûr). Aussi grave que de tuer un humain, demande-t-on à notre intervenante? A priori oui, puisque la valeur inhérente est portée de manière égale par les hommes et les animaux. Il faudra prendre en compte le fait que l'on a coupé tout le potentiel de vie de l'individu, mais également la souffrance des proches, répond-elle. Qui peut également être élevée chez les animaux vivant en communauté. Florence Burgat rejette également l'argument selon lequel le potentiel d'expériences de vie d'une vache serait bien moindre que celui d'un humain, car qui sommes-nous pour juger des expériences de vie d'une vache? Peut-être que pour elle, nous avons une vie pauvre...


Droits des animaux et droits de la nature: pas toujours le même combat!

En guise de conclusion, notons que cette approche est individualiste: chaque sujet-d'une-vie, ou être sentient, ou être aux capacités cognitives élevées est porteur de droits. Chaque individu compte donc!


On peut trouver ici un point de discorde avec ceux qui prônent la reconnaissance des droits de la Terre Mère, car ceux-ci sont dans une approche holiste, ce qui compte avant tout pour eux étant la préservation du tout de la nature, quitte pour ce faire à sacrifier quelques individus.


Prenons l'exemple de la chasse de régulation d'une population. Les promoteurs des droits des animaux la verront d'un très mauvais œil, puisque pour eux la vie de chaque animal compte. Par contre, les promoteurs des droits de la nature peuvent trouver cette pratique nécessaire à la bonne préservation de l'équilibre d'un écosystème... (même si ultimement le problème vient du fait que l'homme a exterminé les grands prédateurs, soit directement, soit indirectement en diminuant leurs territoires, et que ces deux approches se rejoindraient probablement sur le fait de réintroduire les prédateurs naturels des espèces dites "invasives". Notons également, nous dit Florence Burgat, que souvent la chasse de régulation est un prétexte pour les chasseurs de continuer à chasser, et qu'ils n'hésitent pas à nourrir leurs futures victimes pour provoquer leur surnombre...)


Un tout grand merci à Florence Burgat!


À lire:


"The case for animal rights" de Tom Regan (traduction française: "Les droits des animaux")

"Le droit animalier" de Jean-Pierre Marguénaud, Florence Burgat et Jacques Leroy


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