top of page

L'éthique de la vulnérabilité, avec Corine Pelluchon

Deuxième interview de notre quatuor parisien sur la cause animale: la philosophe Corine Pelluchon, professeure à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée, qui nous a gentiment reçue dans son appartement! Elle a pu nous parler à la fois du philosophe norvégien Arne Naess et de son écologie profonde (dont nous parlerons dans un autre article), mais également de son propre travail sur le vivant, situé entre une philosophie de l'existence et une philosophie politique. Si son travail a commencé sur les bancs de l'hôpital, à l'écoute des patients les plus vulnérables, il s'est vite élargi à la cause animale et à l'écologie, qui pour elle sont des causes inséparables.

La guerre contre la sensibilité

Qu'est-ce que des pratiques comme l'élevage intensif disent de nous? se demande Corine Pelluchon. Car ce que nous faisons au vivant en dit long sur nous, sur le type de société que nous construisons, sur les valeurs que nous mettons en avant. Or, lorsque des vidéos comme celles relayées par l'association L214 (dont nous parlerons dans l'article suivant) nous révèlent les conditions de vie des animaux d'élevage, entassés les uns contre les autres, avec une hygiène plus que déplorable, certains ne voyant jamais la lumière du jour, blessés et malades, et leurs conditions d'abattage à la chaîne, dans le stress et la violence, certains écorchés vivants, ou agonisant lentement... on est en droit de se poser des questions!


Si autrefois on pouvait parler d'une forme de dénégation de la réalité de la part de ceux qui continuent à acheter et à manger de la viande provenant de tels élevages intensifs, Corine Pelluchon affirme qu'aujourd'hui, on a plutôt affaire à une véritable guerre contre la sensibilité. On dira alors qu'il ne faut pas être trop sensible, qu'après tout ce ne sont que des animaux, qu'il ne faut pas s'attacher. Bref, qu'il faut être fort dans la vie, dur comme un roc, puisque "c'est la loi de la nature".

Une nouvelle image de l'homme et du vivant

Cette image de l'homme fort, indépendant, autonome, libre, compétitif, Corine Pelluchon souhaite la dépasser. Pour elle, elle n'incarne pas l'humanisme que la société actuelle prétend promouvoir. Au contraire, dans ses deux livres "Eléments pour une éthique de la vulnérabilité" et "Les Nourritures", elle s'attache à mettre en avant une nouvelle image de l'homme: un homme fait de chair et pas seulement de raison, et donc un homme vulnérable, sujet au vieillissement, au handicap, à la mort, dépendant d'autrui pour sa survie tant corporelle que mentale, ayant des intérêts à défendre et à protéger, mais également un sujet jouissant de sa corporéité, se nourrissant avec plaisir le corps et l'esprit avec les autres et le monde extérieur. Un tel sujet est donc fondamentalement relationnel et incarné.


Mais l'intérêt de cette nouvelle image de l'homme réside dans le fait que nous ne sommes pas les seuls à être ainsi: les animaux, et même les plantes dans une certaine mesure, sont également des êtres vivants vulnérables, dépendants et jouissants. Ce sont donc aussi des sujets, en un sens différent, avec des intérêts à défendre et à protéger. Mais ce sont des sujets encore plus vulnérables que la plupart des hommes, puisqu'ils ne peuvent pas défendre leurs intérêts seuls, ils ont besoin d'un humain pour les représenter. De plus, une menace pèse constamment sur eux, puisque l'homme se nourrit d'eux aujourd'hui de façon extensive. Or, les bêtes ont-elles l'obligation de nous nourrir, se demande Corine Pelluchon?


L'homme est tout de même différent des autres animaux: il est responsable envers les autres humains, les animaux et les plantes dont il est dépendant, et ce dans la spatialité et la temporalité (pensons aux générations futures). Et c'est sa vulnérabilité même, nous dit Corine Pelluchon, qui lui permet de s'ouvrir à cette responsabilité, parce qu'il peut se reconnaître dans les autres êtres vivants, vulnérables comme lui.

Une justice pour tous

Cette nouvelle vision de l'homme et du vivant, marquée par la vulnérabilité, l'interdépendance et la responsabilité de l'homme, ouvre la possibilité d'une nouvelle philosophie politique, qui prendrait en compte les intérêts de tous: humains, animaux, plantes et même la biosphère en général. Pour Corine Pelluchon, la question animale est avant tout une question de justice. De quel droit nous mettons-nous sur un piédestal et faisons-nous souffrir le reste du monde vivant? De quel droit considérons-nous les animaux d'élevage comme des objets que nous posséderions?


Pour Corine Pelluchon, les animaux comptent et leurs intérêts doivent être pris en compte dans la délibération publique. Il ne s'agit pas pour autant de leur donner les droits de l'homme (ce qui serait absurde), ni d'imposer à tous le végétarisme (ce qui serait anti-démocratique et contreproductif selon elle). Cependant, nous dit Corine Pelluchon, il faudrait tenir compte des droits d'exister des animaux dans nos politiques publiques, en leur octroyant des représentants, qui auraient un certain pouvoir. Cela permettrait d'améliorer progressivement la condition animale en ancrant leur sort dans le cœur des citoyens.


Un grand merci à Corine Pelluchon!

Des vaches bien sociables et curieuses en Angleterre :-)


A lire de Corine Pelluchon:


"Eléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature.", Editions du cerf, 2011.

"Les Nourritures. Philosophie du corps politique", Seuil, 2015.

"Manifeste animaliste. Politiser la cause animale", Alma Editeur, 2017.



Cet article
Plus besoin de Facebook pour écrire des commentaires !

Voir en bas de l'article

POSTS RÉCENTS :
PAR TAGS :
bottom of page