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La souffrance animale, avec Georges Chapouthier

Après notre périple au Royaume-Uni et une petite pause en Belgique, nous voici repartis pour 4 journées bien remplies à Paris, tournées autour d'un thème: la cause animale. Notre premier intervenant fut Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS, et formé à la fois en biologie et en philosophie. Il s'intéresse particulièrement à la question animale.

Que veut dire souffrir?

Si Malebranche, l'élève de Descartes, affirmait que lorsque son chien hurlait alors qu'il le tapait, c'était comme une horloge qui sonne l'heure, portant à son paroxysme l'idée cartésienne de l'animal-machine, aujourd'hui les choses ont changé. Si la biologie regarde toujours les corps (dont le corps humain!) comme un mécanisme, il est aujourd'hui bien connu que les animaux ont également une sensibilité nerveuse. Mais en quel sens les animaux souffrent-ils? Tous les animaux souffrent-ils de la même manière? Georges Chapouthier a pu nous éclairer sur ce point, en nous définissant les différents stades de "souffrance".


Tout d'abord, certains animaux n'ont pas de système nerveux du tout, comme les éponges! Et les végétaux, alors? Si on peut parler, dans un sens très large, d'une sensibilité de leur part (le récent livre "La vie secrète des arbres" montre ainsi que ceux-ci communiquent entre eux via leurs racines), il est certain qu'ils ne possèdent pas de sensibilité nerveuse, appuie Georges Chapouthier. Attention donc au terme "sensible", qui peut vouloir dire plein de choses très différentes!


Mais l'essentiel des animaux ont ce qu'on appelle la nociception, qui fait qu'ils vont s'éloigner, par réflexe, de toute menace. Les vers de terre, par exemple, ainsi que l'essentiel des invertébrés, possèdent uniquement de la nociception.


On parlera de douleur lorsque viennent s'ajouter des émotions (portées par le système limbique chez les vertébrés). La science reconnaît pour le moment avec certitude que deux groupes d'animaux ont des émotions: le groupe des vertébrés (ayant une colonne vertébrale) auquel nous appartenons, et les mollusques céphalopodes comme la pieuvre ou la seiche (qui eux ont une zone équivalente au système limbique). La question se pose pour les crustacés.



On parlera de souffrance lorsque s'ajoute un aspect cérébral, cognitif, (porté par le cortex cérébral chez les vertébrés, et par une zone équivalente chez les mollusques céphalopodes) qui est donc également incontestable chez les deux groupes précités. Cette souffrance comprend à la fois la cognition de la douleur physique mais également la souffrance psychique (comme l'anxiété par exemple). Les animaux les plus céphalisés peuvent même développer des maladies mentales comme la dépression!


L'animal, si proche de l'homme?


Nous voyons donc que au moins les vertébrés et les mollusques céphalopodes souffrent comme nous! Mais y-a-t'il d'autres points communs entre l'homme et les autres animaux qui n'étaient pas reconnus par le passé?


Georges Chapouthier nous a cité quelques points communs: la mémoire, l'utilisation d'outils et la transmission des pratiques, des proto-langages (les abeilles, par exemple, transmettent la position de la source de la nourriture par une danse...), des proto-morales, des choix esthétiques, etc.

Plus d'informations sur la danse des abeilles ici


Notons également que le cochon est probablement l'animal le plus intelligent que nous consommons en Occident, puisqu'il serait même capable de se reconnaître dans un miroir.


La coupure entre les hommes et les autres animaux n'est donc pas aussi franche qu'on pourrait le penser!


Quelles conséquences morales?


Philosophiquement et moralement, que tirer de toutes ces informations? Pour Georges Chapouthier, il faudrait attribuer des droits aux animaux. Pour lui, un droit est une contrainte que l'homme se donne. Mais il ne s'agit pas de donner les mêmes droits à un homme, à un chien et à une fourmi! Au contraire, il s'agit de tenir compte des besoins de chaque espèce, tout en respectant l'équilibre naturel (il ne s'agit donc pas d'intervenir dans un combat entre un prédateur et sa proie!). Georges Chapouthier se réclame ici de la Déclaration Universelle des Droits de l'Animal, proclamée à l'Unesco en 1978 (mais qui n'a pour le moment aucune portée juridique). Il y aurait donc les droits de l'homme, les droits du chimpanzé, les droits du ver de terre, etc., qui seront chacun adaptés à l'espèce en question.


Mais que se passe-t-il en cas de conflits entre les droits de l'homme et les droits d'une autre espèce? Pour Georges Chapouthier, toute espèce a le droit de défendre d'abord ses propres droits. La question peut se poser par exemple dans le cas de l'expérimentation animale ayant pour but de tester des médicaments pour l'homme. Pour Chapouthier, si la santé et la vie de l'homme sont en jeu, les droits de l'homme primeront sur les droits de l'animal, et des animaux pourront être utilisés pour l'expérimentation, en faisant tout pour diminuer leurs souffrances (en suivant la loi des 3 R: réduire le nombre d'animaux utilisés, raffiner les protocoles pour qu'ils soient moins douloureux et remplacer l'expérimentation animale quand c'est possible). Selon lui, il faudra encore attendre quelques siècles avant de pouvoir se passer totalement de l'expérimentation animale et de pouvoir la remplacer par d'autres techniques.

Georges Chapouthier a lui même pratiqué l'expérimentation animale et relate ses questionnements dans son livre "Le chercheur et la souris" (photo trouvée sur le net)


Par contre, si le droit de vie ou de non-souffrance de l'animal fait face au droit à un plaisir de l'homme, Chapouthier est plus nuancé. S'il condamne fortement tout élevage et abattage faisant souffrir l'animal, il ne se prononce pas vraiment face à ce qu'on appelle l'élevage "éthique", ne faisant pas souffrir l'animal. Il prône pour commencer une réduction drastique de notre consommation de viande. Pour lui, l'argument de la tradition est très mauvais (on peut penser au cas du foie gras ou de la corrida): une tradition ne peut être respectée que si elle est respectable, nous dit-il!


Merci à Georges Chapouthier!

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