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La valeur de la vie et la figure de l'intendant, avec Robin Attfield

Robin Attfield est professeur émérite à l'Université de Cardiff, où nous l'avons rencontré. Il a également fait partie d'un groupe de travail, formé sous l'impulsion de l'UNESCO, dont l'objectif a été de faire un état des lieux de l'éthique environnementale (le résultat de ce travail est ici). Ses recherches sont nombreuses et ont notamment porté sur les enjeux globaux, c'est-à-dire sur les phénomènes qui se produisent à l'échelle planétaire tels que le réchauffement climatique, la baisse de la biodiversité, la pression démographique ou encore la justice environnementale. Son livre, Ethics for the Global Environment, initialement paru en 1999 mais réédité et augmenté en 2015, dresse un excellent panorama à la fois lucide et détaillé des défis globaux des années à venir. En particulier, le livre examine les avancées ou insuffisances des initiatives politiques internationales et constitue ainsi une très bonne référence sur le sujet.

Robin Attfield


Parmi les nombreux sujets abordés, voici quelques thèmes nouveaux que nous avons pu développer pour la première fois au cours de notre voyage.



La valeur indépendante de la vie et le biocentrisme


Selon Robin Attfield, toute créature vivante, qu'elle soit animale ou végétale, possède une valeur indépendante de l'intérêt qu'elle suscite chez les humains. Cela implique que lorsque nous prenons une décision à propos d'une action ayant un impact sur la nature, nous devons prendre en considération l'intérêt de toute créature vivante concernée par notre décision. Cela ne signifie pas que nous devons considérer toutes les formes de vie de façon égale, mais plutôt qu'aucune forme de vie ne peut être automatiquement mise de côté. Cette position qui met au premier plan les formes de vie est appelée biocentrisme.


Selon le contexte, nous pouvons décider de privilégier une espèce plutôt qu'une autre. Par exemple, on peut estimer plus important de mettre nos efforts pour protéger une espèce en voie de disparition qu'une espèce commune, ou décider de privilégier des espèces aux facultés "sophistiquées" (capables d'être sensibles ou d'avoir une conscience, par exemple) au détriment d'espèces aux facultés plus "simples". Mais de telles préférences ne sont légitimes qu'en cas de conflit d'intérêts entre les espèces, lorsque l'on est obligé de choisir une espèce plutôt qu'une autre. En l'absence de tels conflits d'intérêts, toute forme de vie a, en principe, autant de valeur que toute autre; il n'y a pas de supériorité automatique d'une forme de vie sur une autre.


Si les intérêts vitaux d'une espèce entrent en conflit avec ceux des humains, on peut avoir des raisons de privilégier l'humain en raison de ses facultés jugées admirables et précieuses (telles que sa conscience et son intelligence hyper-complexes). Par contre, si des intérêts vitaux d'un animal sont en confit avec des intérêts humains jugés superficiels, alors l'animal devrait être privilégié.


Une telle éthique, qui consiste à rechercher au cas par cas l'action la plus compatible avec le respect de la vie, en fonction des conséquences possiblement engendrées, est appelée conséquentialiste. Sa ligne directrice est ici la valeur de la vie, et sa devise est de ne privilégier aucune forme de vie par défaut et de toujours considérer chaque situation séparément. Cette approche s'oppose donc aux éthiques mettant en avant de grandes injonctions morales (comme "il est toujours mal de tuer un être vivant") censée valoir absolument et éternellement. Selon Attfield, tuer un être vivant n'est donc pas invariablement un crime moral : cela dépend de la situation.


Doit-on protéger toutes les espèces animales, y compris celles qui nous sont inutiles ?


La réponse d'Attfield est : oui, il faut prendre en considération toutes les formes de vie sans exception. Cependant, ajoute-t-il, il faut se méfier de l'inutilité apparente de certaines formes de vie. Par exemple, on a découvert en 2016 (!) qu'une bactérie commune des océans (la Pelagibacter, l'une des formes de vie les plus simples de la planète), était responsable de diffusion dans l'atmosphère du diméthylsulfure, un gaz qui permet la formation des nuages dans le ciel ! Imaginez-vous une planète sans nuages (donc, sans précipitations ni protection contre la lumière solaire) ? Hé bien c'est grâce à cette bactérie que nous ne vivons pas dans un tel enfer.

Nos bienfaitrices les bactéries Pelagibacter !


Dans l'écosystème terrestre, toutes les formes de vie sont en interaction les unes avec les autres par des voies encore largement inconnues. Valoriser toutes les formes de vie, quelles qu'elles soient, permet justement de ne pas sous-estimer par erreur une espèce.




La figure de l'humain intendant de la nature (stewardship)


Ces derniers siècles, l'homme occidental s'est vu comme dominateur de la nature. Aujourd'hui, cette figure de dominateur est largement critiquée. Néanmoins, on ne peut nier que l'homme a un pouvoir inégalé sur la nature. Or, celui qui a le pouvoir ne gagne-t-il pas du coup le droit de dominer ? N'est-il pas normal, que le fort impose sa loi ?


Non ! Il est possible de reconnaître le pouvoir de l'homme sur la nature sans pour autant lui reconnaître le droit de faire ce qu'il veut : il s'agit de voir l'homme comme un intendant de la nature.


Cette figure de l'intendant (steward, en anglais) est notamment centrale dans les grandes religions monothéistes telles que le christianisme, le judaïsme ou l'islam. Comme nous l'explique Robin Attfield, un intendant est une personne qui reçoit la responsabilité de s'occuper d'un bien qui ne lui appartient pas. Dans la vision chrétienne, la nature appartient à Dieu, et l'Homme a reçu de Dieu la responsabilité de prendre soin de Sa Création. Il n'est donc pas libre de faire ce qu'il veut à la nature, au contraire : il doit la préserver et la chérir car elle lui a été confiée par Dieu. L'Homme reçoit donc un certain pouvoir sur la nature, mais ce pouvoir le rend avant tout responsable d'elle vis-à-vis de Dieu.

L'idée que le christianisme prône la domination de l'homme sur la nature a été longtemps défendue, notamment depuis l'article-massue de Lynn T. White "Les racines historiques de notre crise écologique" publié en 1967 et affirmant que le judéo-christianisme est responsable de la séparation Homme-Nature. Cette idée doit aujourd'hui être corrigée, nous dit Robin Attfield, car en lisant sérieusement la Bible, ce n'est pas un Homme dominateur que l'on trouvera mais bien un Homme intendant.


Le sujet est subtil car une lecture rapide nous ferait vite tomber sur ces versets célèbres de la Genèse :


Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. (Genèse 1:26-28)


Le sens de ces mots devrait être mis en relation avec tous les autres passages de la Bible afin d'en dégager une interprétation cohérente. Par exemple, le livre de l'Apocalypse mentionne (chapitre 11, verset 18) que Dieu n'apprécie pas ceux qui détruisent la terre, ce qui implique que la "domination" dont il est question ci-dessus ne donne pas le droit de la détruire.


Enfin, selon Robin Attfield, cette vision de l'Homme intendant de la nature n'est pas pertinente que pour les chrétiens. Il est en effet possible de présenter une vision de l'intendance qui ne fait pas référence à Dieu mais plutôt à l'Humanité en un sens élargi. Cependant, comme le sujet est complexe, je vous renvoie à son livre Ethics for the Global Environment ou à nos prochains films !


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