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Le visage vert de l'Islam, avec Fazlun Khalid

Après notre journée intensive de deux interviews et une bonne nuit de sommeil, nous repartons à la rencontre de Fazlun Khalid, qui a créé en Angleterre la Islamic Foundation for Ecology and Environmental Sciences (IFEES)! L'homme de 85 ans nous reçoit chaleureusement dans sa maison avec son épouse, autour d'une tasse de thé et de petits gâteaux.

Fazlun Khalid

L'incroyable histoire de Fazlun Khalid


Son histoire à elle seule vaudrait déjà un film: d'origine sri lankaise, son amour de la nature lui vient de son père, qui l'emmenait voir les cascades et la jungle... En 1953, il est ensuite venu en Angleterre avec un ami après un long voyage principalement à pied, afin de rejoindre la Royal Air Force en tant que technicien. Il a très vite été confronté à des problèmes de racisme des Anglais face aux nouveaux migrants, auxquels il décide de se consacrer dans la suite de sa carrière à la Commission for Racial Equality. C'est en travaillant pour la reconnaissance des droits des migrants qu'il se rend compte des liens entre le racisme, la pauvreté, la dette et la dégradation de l'environnement, toutes causées principalement par la domination d'une société occidentale industrielle et capitaliste. Un jour, en 1980, lors d'une réunion d'associations sur la question écologique, une question lui est posée: qu'est-ce que l'Islam a à dire sur la protection de l'environnement? Il ne sait que répondre sur le moment, tout en sentant que sa tradition musulmane a quelque chose d'important à dire sur le sujet. Il décide alors de suivre un master en Etudes Islamiques à l'Université de Birmingham pour étudier la question. Il découvre alors que l'Islam est profondément écologique, et est frappé qu'une telle connaissance se soit perdue dans le monde musulman. Il décide alors d'y consacrer le reste de sa vie. Écrivant des petits livres sur les liens entre Islam et écologie, il entra progressivement en contact avec des personnalités d'autres religions mettant la préoccupation environnementale au premier plan ainsi qu'avec le WWF, notamment lors d'une rencontre interreligieuse majeure au Japon en 1995. Après cette rencontre, l'Alliance of Religions and Conservation (ARC) fut créée en Angleterre, association aidant les différentes religions à mettre en lumière et en pratique leur dimension écologique. Fazlun Khalid fut son ambassadeur pendant 5 ans, avant de décider de créer une association qui se consacrerait exclusivement à la dimension écologique de l'Islam: l'Islamic Foundation for Ecology and Environmental Sciences (IFEES). Son but est d'informer le public, tant musulman que non-musulman, sur ce que l'Islam a à dire sur l'écologie, sous la forme de publications, de conférences, etc.

L'Islam et l'écologie


Mais justement, quelle est la position de l'Islam par rapport à l'environnement? Fazlun Khalid commence par pointer que les termes "environnement" et "écologie" sont des termes de la modernité occidentale, qui n'apparaissent pas tels quels dans les textes sacrés des religions, et qui témoignent déjà en quelque sorte d'une vision du monde. Le terme utilisé dans le Coran pour parler de la nature est khalq, signifiant la création. Pour l'Islam, nous faisons donc partie de la totalité de la création d'Allah. Les enseignements du Coran qui concernent nos relations avec le reste de la création sont appelés 'Ilm ul Khalq, signifiant la Connaissance de la Création.


Fazlun Khalid met en avant 4 principes présents dans la Connaissance de la Création :


- Le principe de l'unité : La création est une et holistique.


- Le principe de primordialité : La nature a toujours été là et nous avons toujours fait partie de la nature! Or la modernité nous conçoit comme séparés d'elle...


- Le principe de l'équilibre (balance en anglais, mizan en arabe) : Dieu a créé les choses dans un équilibre parfait. Or l'homme a aujourd'hui rompu cet équilibre...


- Le principe de l'intendance (stewardship en anglais, khalifah en arabe) : L'homme, de par ses capacités uniques, a la responsabilité de prendre soin du reste de la création, d'être en quelque sorte son intendant, son gardien. Or l'homme a détruit une grande partie de la création...


La vie du prophète Mahomet témoigne elle-même d'une telle préoccupation pour le reste de la création. Il condamnait ainsi les pratiques cruelles envers les animaux, a établi des zones protégées, et vivait une vie frugale et sans déchets.


Et en pratique?


Une telle connaissance a été perdue de vue par la majorité des musulmans, déplore Khalid. La religion est aujourd'hui trop souvent devenue un ensemble de rituels dont on a oublié le sens profond. La religion s'est historiquement associée au capitalisme occidental et a oublié que l'essentiel n'est pas l'accumulation de profit et la croissance économique, mais une vie simple se vouant à prendre soin de la création en reconnaissance et en admiration pour son Créateur. Aujourd'hui, les pays musulmans sont de grands producteurs de pétrole et participent au réchauffement climatique. Les faire revenir aux enseignements profonds du Coran sur la création n'est pas une chose aisée. Mais Khalid oeuvre par petites touches, et parfois fait mouche! Comme dans ce cas exceptionnel à Zanzibar.


Un pêcheur à Zanzibar


Le WWF a fait appel à Khalid car l'association de conservation de la nature était confrontée à un cas désespéré: des pêcheurs tanzaniens venaient de découvrir une nouvelle technique de pêche qui leur épargnerait beaucoup d'efforts de travail, à savoir la pêche à la dynamite. Evidemment, une telle technique est très destructrice pour l'environnement. Par exemple, alors que les bébés poissons s'échappaient des mailles des filets des pêcheurs, la dynamite, elle, tue tout sur son passage, jeunes et vieux, et ne permet pas à la population de poissons de se régénérer. De plus, le lieu abritait des barrières de corail qui risquaient d'être complètement détruites par cette technique. Le WWF a tenté de faire entendre raison aux pêcheurs, sans succès. Mais un point a attiré leur attention: ces pêcheurs étaient de très fervents musulmans. Fazlun Khalid est venu donner un workshop de deux jours sur la Connaissance de la Création. Après ces deux jours, les pêcheurs ont cessé cette pratique et sont revenus à la pêche traditionnelle. Là où le discours environnemental occidental avait échoué, la religion, qui leur parlait dans leur langage, a réussi à convaincre les pêcheurs de prendre soin de l'environnement et des générations futures.


Ce bel exemple en appelle d'autres. Le travail de conscientisation des croyants aux enseignements écologiques de leurs propres traditions religieuses ne fait que commencer. Mais les différentes religions œuvrent main dans la main sur ce point sur lequel elles semblent toutes être d'accord: préserver la nature, si pas pour elle-même, au moins pour les générations futures!


Merci à Fazlun Khalid pour son travail formidable!



A lire pour plus d'informations:


- La Déclaration islamique sur le changement climatique, écrite lors d'un symposium en août 2015 à Istanbul par plusieurs experts de l'Islam venant d'Afrique, d'Asie, d'Europe et du Moyen-Orient, dont Fazlun Khalid


- La liste des contributions d'IFEES, y compris la liste des publications de Fazlun Khalid sur le sujet



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