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Le bouddhisme et l'éthique environnementale, avec Simon P. James

La suite de notre journée de folie! Après avoir interviewé Richard Mitchell le matin à Glasgow, nous sautons dans notre voiture, roulons 3 heures, mangeons sur le pouce et venons rencontrer Simon P. James à Durham!

Professeur de philosophie et chercheur à l'université de Durham, il est spécialiste entre autres d'éthique environnementale. Egalement bouddhiste, il a consacré plusieurs livres à analyser la dimension écologique du Bouddhisme! Il nous accueille chaleureusement et répond avec expressivité à nos questions dans la bibliothèque de philosophie :-) Pour rappel, nous avions déjà abordé ce sujet avec Marc-Henry Deroche à Kyoto (voir l'article ici).

Simon P. James

Une conception du monde écologique?


Le premier aspect que l'on peut considérer pour étudier les liens possibles entre le Bouddhisme et l'écologie sont leurs conceptions du monde respectives. Et oui, nous dit James, nous pouvons trouver des liens entre la conception du monde de la science écologique et celle du Bouddhisme! En particulier, toutes deux mettent l'accent sur les relations entre les êtres plutôt que sur une quelconque "essence", ou encore identité de ces êtres, qui pour les bouddhistes n'existe pas. Ainsi, ce qui fait de l'arbre un arbre, ce sont les relations qu'il entretient avec le reste du monde vivant: ses racines qui plongent dans le sol, ses branches qui s'étirent vers le ciel en quête de lumière, etc. Le monde est fait d'interconnexions! De plus, ces deux conceptions du monde sont naturalistes, dans le sens où le bouddhiste ne croit pas à l'existence d'une âme.


Mais ce n'est pas à dire que ces conceptions du monde sont pareilles, loin de là, nuance James! Par exemple, les bouddhistes croient en la réincarnation : les humains peuvent se réincarner en animaux et les animaux en humains, selon les actions mauvaises ou bonnes (respectivement) qu'ils ont réalisées durant leurs vies. Reste la question complexe de savoir comment concevoir une réincarnation sans croire à l'existence de l'âme... Mais c'est un autre sujet ;-)

Ce singe-ci, à force de méditer, aura tôt fait de se réincarner en humain et d'atteindre l'éveil! A moins qu'il ne l'ait déjà atteint? :-)



Quelle valeur les bouddhistes donnent-ils à la nature?


Le second aspect que l'on peut considérer est celui de la valeur, de la considérabilité morale que les bouddhistes accordent à la nature en général et aux animaux en particulier.


Pour répondre à cette question, nous apprend James, il s'agit de différencier plusieurs traditions présentes dans le Bouddhisme. Le Bouddhisme des origines, venant d'Inde, n'avait pas une vision mirifique de la nature, dans le sens où comme le reste de la réalité, elle était marquée par le cycle de la souffrance, qu'ils appellent samsara. L'idée est donc bien plus de s'en échapper par la méditation et l'éveil que de s'y attarder. James nous a donné un exemple éclairant sur cette façon de voir le monde. En visite dans un temple bouddhiste en Asie, il s'extasiait de la nature luxuriante des lieux devant un moine : les oiseaux chantaient dans le ciel, les lézards se doraient au soleil, une tortue nageait dans l'étang. Le moine a tôt fait de le reprendre: "Non non non! Ce que tu vois là, ce n'est que de la souffrance. Les oiseaux chantent pour marquer leur territoire et sont en compétition, les lézards pensent à attraper des insectes pour les manger car ils ont faim, etc." Une autre façon de voir les choses, je vous le disais :-)


Mais dans le Bouddhisme de l'Asie de l'Est (Chine, Corée, Japon, etc.), la nature sera vue sous un œil un peu plus optimiste, et ce sous l'influence des croyances locales (Taoïsme, Shinto, etc.): pour eux, l'éveil est non seulement possible pour tous les êtres terrestres, mais en plus de cela certains arbres ou rochers ont même déjà atteint l'éveil! Méditer en leur présence permet donc de s'inspirer de leur état, et en ce sens la nature non sentiente (entendez par là qui ne souffre pas, donc les plantes, les roches, etc.) acquiert pour les bouddhistes une valeur en tant que ressource spirituelle.


En plus de cela, dès l'origine du Bouddhisme, les êtres sentients (donc ceux qui ont la capacité de souffrir, c'est-à-dire la majorité des animaux) sont des objets d'une attention morale directe : il s'agit pour les bouddhistes de compatir à leur souffrance et de tenter de la diminuer tant que faire se peut (d'autant plus qu'on a peut-être affaire à ses ancêtres!).


Une centaine de petites statues en pierre, dans une forêt du temple bouddhiste d'Ikoma, au Japon... Un bon lieu pour méditer?



Une éthique des vertus environnementale


Le dernier aspect que l'on peut considérer, et celui que James préfère, c'est de voir quelle est pour les bouddhistes une bonne vie. Pour lui, on peut trouver dans le Bouddhisme une véritable éthique des vertus, c'est-à-dire une éthique qui se préoccupe non pas tant de donner des impératifs ou des devoirs concernant nos actions (comme chez Kant), mais plutôt de montrer un modèle d'être humain à être. Et dans ces vertus, nous dit-il, plusieurs ont une portée environnementale ou animale non négligeable!


Par exemple, la compassion envers tous les êtres souffrants sera prônée par les bouddhistes. Cette compassion devrait être portée non seulement envers les êtres qui nous touchent mais également envers les êtres qui nous repoussent, les araignées par exemple. Cette vertu, associée à celle de la non-violence, amène les bouddhistes à prôner le végétarisme, sans que les moines ne le soient complètement, étant donné qu'ils sont mendiants et qu'ils doivent accepter la nourriture qu'on leur offre. En réalité, réfléchit James, ces mêmes vertus peuvent amener à prôner le véganisme!


Un autre exemple peut être la vertu d'humilité, de sortie de ses intérêts égoïstes, que James retraduit sous la forme d'une sortie de l'anthropocentrisme, ce dernier considérant l'homme comme supérieur aux autres êtres vivants.


Un dernier exemple ? La fameuse "pleine conscience", peut nous amener à prendre conscience de l'impact de nos actes quotidiens sur l'ensemble de la planète et à changer nos habitudes : tri des déchets, consommation responsable, etc.


Une inspiration même pour les athées?


Le Bouddhisme est souvent vu à la fois comme une philosophie et comme une religion. Si certains éléments relèvent davantage de la croyance (comme la réincarnation par exemple), d'autres peuvent tout à fait être séparés du contexte religieux, comme ces fameuses vertus environnementales! Elles pourraient alors devenir une excellente inspiration pour les athées, agnostiques ou pour les croyants d'autres religions.


Merci à Simon P. James de nous avoir éclairés! :-)



A lire pour en savoir plus :


Cooper, David E. & James, Simon P. (2005). Buddhism, Virtue and Environment. Aldershot: Ashgate.


James, Simon P. (2004). Zen Buddhism and Environmental Ethics. Aldershot: Ashgate.




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