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Réenchanter le monde avec Mohammed Taleb

Mohammed Taleb, auteur de nombreux ouvrages et infatigable militant de la culture générale, donne actuellement, en Belgique, une formation sur le thème de l'éducation relative à l'environnement. Comme nous sommes de passage en Belgique avant de repartir dans d'autres pays d'Europe, nous avons bien sûr sauté sur l'occasion pour le rencontrer à Bruxelles !

Mohammed Taleb


Un thème majeur de son travail est celui du réenchantement de notre rapport au monde. S'y déploie une réflexion sur le sens de notre existence, la place de la spiritualité et la beauté du cosmos.


Le désenchantement du monde


Le désenchantement du monde, c'est le dépouillement du monde de toutes ses dimensions symboliques, esthétiques, sacrées, magiques, c'est-à-dire de toute son immatérialité. Il a débuté en Europe au 17e siècle avec l'introduction, par Descartes, de la méthode analytique selon laquelle pour connaître un phénomène, il faut le décomposer en parties simples et se ramener à l'étude de ces dernières. Une telle approche de la connaissance suppose donc que le tout est la somme des parties. Avec le capitalisme et la marchandisation du monde, ces mouvements ont été les ingrédients fondamentaux de la réduction de la nature à des choses. Or, il ne pourrait y avoir de véritable respect envers des choses.


Selon Taleb, la crise environnementale n'est pas qu'une crise technique, qu'une science mécaniste pourrait résoudre dans le futur. Au contraire, c'est une crise civilisationnelle, une crise de sens liée à la réduction du monde à de la pure matière. L'écologie scientifique occidentale serait donc dans une impasse, elle qui repose toujours sur une vision chosifiée de la nature réduite à des ressources naturelles.

Les Temps Modernes et le désenchantement du monde... On ne fera jamais mieux que Chaplin !



Le réenchantement du monde


Pour Taleb, l'enjeu essentiel dans la crise écologique actuelle est le réenchantement de notre rapport au monde. Réenchanter, c'est réinsuffler les dimensions perdues de l'art, la littérature, la poésie, le sacré, le jeu, la contemplation, l'esthétique. C'est redonner leur place aux dimensions immatérielles mais réelles que le protocole scientifique et le capitalisme ont écartées. C'est retrouver le sens de notre appartenance à l'univers.


Selon lui, seul un rapport réenchanté au monde est capable de porter une écologie prometteuse. Et dans cette tâche, il serait nécessaire de donner la voix aux peuples et aux religions dans le débat environnemental. En effet, à travers le monde et contrairement à la situation très particulière de l'Occident, le religieux n'est pas confiné dans la sphère privée. Au contraire, il est intimement entrelacé avec les cultures et contribue à l'exploration du sens de la vie. Une écologie désenchantée, occidentale, serait incapable de toucher les peuples car, déconnectée de la question du sens et des cultures locales, elle ne pourrait qu'être abstraite, étrangère et, dans le pire des cas, une tentative supplémentaire de colonisation par l'Occident.


Sur la question écologique, on consulte les politiques, les scientifiques et même les entreprises. Pourquoi les communauté spirituelles ou religieuses, celles qui portent le sens de l'existence de cultures entières, n'auraient-elles pas une voix au chapitre, demande Taleb ? Le dialogue interculturel, impliquant les acteurs du sens, serait pour lui nécessaire pour aborder la crise environnementale.


L'écologie devrait donc se décliner au pluriel pour donner lieu à des écologies. Taleb a la conviction que chaque culture possède en elle-même les germes de sa propre pensée écologique. Le respect de la nature serait une valeur universelle, mais qui se déploie toujours de façon unique dans chaque culture; il s'agit de ce qu'il appelle un singulier universel. Pour construire l'écologie de demain, il s'agirait donc de développer, dans chaque culture, une écologie endogène connectée aux questions de sens et capable de parler, de l'intérieur, aux peuples. Ce serait ensuite un dialogue entre les écologies qui permettrait d'avancer sur la question de la crise environnementale.

Le mouvement Chipko en Inde

Enlacer des arbres en symbole de leur protection



Quelle spiritualité pour l'Occidental ?


Un Japonais peut puiser dans le shinto ou le bouddhisme les ingrédients d'une écologie spécifiquement japonaise qui aura un sens profond pour lui. Un Hindou peut puiser dans l'hindouisme, les peuples d'Amérique Latine dans leur spiritualité de la Terre Mère. Mais si l'on est Belge ou Français, où chercher les éléments d'un réenchantement dans une culture où règnent le capitalisme, la science désenchantée et la réduction de la nature à des choses ?


Nombreux sont les jeunes Occidentaux qui vont, dans un élan exotiste, s'intéresser aux spiritualités non-occidentales, comme en témoigne le succès des innombrables livres et activités sur la méditation, le yoga, le bouddhisme, le chamanisme, etc. Cependant, selon Taleb, si des individus particuliers peuvent trouver un certain sens au niveau personnel dans la culture d'un autre pays, une écologie occidentale réenchantée ne pourrait pas, ultimement, se développer sur des bases non-occidentales. Taleb invite donc à une réexploration de tout le patrimoine culturel occidental dans lequel le monde est enchanté afin de développer une écologie réenchantée pouvant se voir comme descendante de toute une tradition véritablement occidentale. Goethe, les romantiques, Thoreau, Emerson, Tolstoï, saint François, les alchimistes, les béguines, et tant d'autres, font partie du patrimoine authentiquement occidental. Sans un tel travail de mémoire qui nous place en héritiers d'une longue tradition, le risque serait grand que nos initiatives concrètes finissent par s'essouffler, faute d'avoir pu se transmettre. Taleb déplore ainsi l'échec, dans le temps, de nombreuses initiatives locales (projets de permaculture, Alternatiba, Nuits Debouts, ...) qui ne survivraient que difficilement si elles se font sur un fond d'amnésie culturelle. Sans la mémoire culturelle, ces initiatives ne seraient que de la résistance. Avec la mémoire, elles pourraient devenir une réelle alternative (étymologiquement une autre naissance).

Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1817-1818

Un symbole du romantisme du 19e siècle



C'est pourquoi renouer avec la culture générale, la grande disparue de notre éducation axée sur les savoirs spécialisés, serait un enjeu fondamental de notre éducation. La culture générale, c'est la confrontation aux belles œuvres. C'est au contact de la culture générale que pourraient naître et s'épanouir le bien, le beau et le vrai; elle seule pourrait servir de terreau aux questions de sens.


Et tant d'autres questions


Tant d'autres questions méritent encore d'être abordées. Comment réenchanter la science elle-même ? Comment la concilier avec une vision réenchantée de la nature ? Protéger l'environnement en le monétarisant (en termes de services écosystémiques, par exemple) est-il une stratégie prometteuse ? Quelles réformes apporter à notre éducation ? Comment organiser le dialogue entre les cultures et, surtout, comment aborder les conflits culturels ? Chaque année, des baleines sont massacrées en Scandinavie et au Japon pour des raisons de tradition; comment préserver la critique de ces actes tout en respectant les cultures locales ?


L'aventure continue donc !


Un merci infini à Mohammed Taleb de nous avoir consacré près de deux heures ! Et à notre ami secret pour nous avoir fourni un superbe local ;-)


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