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Fukushima, et maintenant?

Nous ne pouvions pas quitter le Japon sans investiguer sur la question nucléaire, même si elle n'entre pas complètement dans le cadre de notre projet ! Pour ce faire, nous avons rencontré et interviewé Kazumasa Aoki, vice-président du laboratoire Chikurin, issu d'une association citoyenne bénévole qui a décidé de prendre en main la question de la mesure de la radioactivité sur le territoire japonais autour de Fukushima de manière indépendante par rapport aux mesures effectuées par le gouvernement japonais.

Kazumasa Aoki est ingénieur de formation. Après avoir fait le lien entre les bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki et les centrales nucléaires, il s'est engagé dans des associations anti-nucléaire. Après la catastrophe de Fukushima, il a décidé de se focaliser sur la prévention des personnes vivant près de Fukushima, en les informant du niveau de radioactivité présent dans l'air, le sol et la nourriture. Il fait ceci de manière bénévole.


Mais on ne réalise pas de telles mesures au feeling: il faut un appareil de mesure le plus précis possible. Grâce au soutien financier et moral de l'ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest), association française qui est présidée par David Boilley, le laboratoire Chikurin est aujourd'hui doté de deux appareils de mesure très précis, chacun pesant plusieurs tonnes et coûtant des dizaines de milliers d'euros. C'est bien simple, le laboratoire a dû être construit autour des machines tellement elles sont lourdes!

Un des deux appareils de mesure de la radioactivité

Le laboratoire, situé à environ 2h de Tokyo


Ces appareils peuvent mesurer le niveau de radioactivité de tout objet. Par exemple, ils ont régulièrement analysé des échantillons d'urine et des morceaux de tissus de lin ayant été étendus à l'air libre dans les régions étudiées. Le lin est en effet un textile particulièrement adéquat pour retenir les particules très fines de radioactivité présentes dans l'air.

Vêtement en lin suspendu dans une région contaminée


L'urine mesurée est souvent celle des enfants, qui sont plus vulnérables que les adultes à la radioactivité. Ces échantillons sont donc envoyés au laboratoire qui effectue les mesures et envoie ensuite les résultats aux personnes concernées, tout en leur donnant des recommandations pour l'avenir en fonction des cas particuliers.

Sur cette carte du Japon (Tokyo étant en bas), sont marqués les endroits où des mesures d'urine ont été effectuées par Aoki et ses collègues. Les endroits surlignés en jaune sont ceux où de la radioactivité a été retrouvée... Donc bien au-delà des régions proches de Fukushima!


Par exemple, si de la radioactivité est retrouvée dans l'urine d'un enfant, Aoki et ses collègues demanderont à la mère comment la famille se nourrit. S'il s'avère par exemple qu'ils consomment les légumes de leurs jardins, ou les champignons des forêts, il y a un fort risque que ceux-ci soient contaminés. En changeant l'alimentation de l'enfant et en refaisant des mesures plusieurs mois plus tard, on peut ainsi constater une chute de la radioactivité dans l'urine, comme on le voit dans le schéma ci-dessous:

En horizontal le temps en jours, en vertical le taux de Becquerels par litre d'urine.

Les points rouges sont les mesures obtenues chez un enfant d'une famille qui, après le premier résultat,

a décidé de se nourrir d'aliments venant de zones non contaminées (à l'ouest du pays). La diminution du niveau de radioactivité trouvée dans l'urine de l'enfant est claire!


Aoki conseillera également aux parents de ne pas acheter de "lunch boxes" dans les petits supermarchés, car il est possible que pour maintenir des prix bas, les ingrédients aient été achetés dans les zones contaminées... (Frissons de notre part à cette nouvelle car nous nous nourrissons ainsi depuis notre arrivée :-( Cela dit, ils ont testé des échantillons de tels aliments sans avoir trouvé de radioactivité... mais ce n'était que quelques échantillons.) Mais également éviter les restaurants d'hamburgers, et même la vente directe des petits producteurs qui ne contrôleraient plus le taux de radioactivité dans leurs champs, pensant que tout va bien désormais.


Autre exemple: des enfants jouant dans un bac à sable et présentant un fort taux de radioactivité dans l'urine. L'hypothèse est alors faite que le sable soit contaminé. C'est donc un véritable travail de sauvetage public que réalisent Aoki et ses collègues!


Mais pourquoi s'inquiéter d'un taux de radioactivité dans l'urine ou dans l'air? C'est que la radioactivité provoque un certain nombre de cancers: cancers du rein, des poumons, etc. Elle peut également attaquer notre système immunitaire et ouvrir le champs à toute une série de virus. Le problème, c'est que ces cancers n'apparaissent pas tout de suite, mais parfois des dizaines d'années plus tard. Difficile alors d'alerter la population, surtout que la radioactivité est sournoisement invisible à l’œil nu... Cependant, des études réalisées après la catastrophe de Chernobyl permettent de mieux cerner les effets de la radioactivité sur le corps humain. Mais y aurait-il une "dose limite" de radioactivité à partir de laquelle il y aurait un danger de cancer (et en-dessous de laquelle il n'y en aurait pas)? En effet, il y a de la radioactivité naturelle partout et depuis toujours... Cependant, il y aurait des indices très sérieux du fait qu'il n'existerait pas de dose en-dessous de laquelle le risque serait nul! Bien sûr, à très faible dose, le risque sera également très faible, et augmentera ensuite proportionnellement à la dose reçue. Par ailleurs des mécanismes dits "épigénétiques", provoqués par l'irradiation interne continue à faible dose, pourraient intervenir et sont suspectés de jouer un rôle important dans la morbidité suite à l'accident de Chernobyl (surtout chez les embryons, fœtus et enfants). Ces mécanismes font actuellement l'objet de nombreuses recherches dans le monde scientifique.


Mais pourquoi le gouvernement japonais ne réalise-t-il pas lui-même ce travail de prévention de la population et de mesure précise? En réalité, il semblerait que le gouvernement soit plus intéressé par la minimisation des coûts que par la santé de sa population. Selon Aoki, sa gestion de l'après Fukushima est très mauvaise. Par exemple, sa politique a été de "décontaminer" des régions évacuées afin que les habitants puissent y retourner (et surtout qu'il puisse arrêter de les dédommager financièrement). La "décontamination" consiste alors à enlever la couche superficielle du sol et les plantes contaminées. Mais que faire après de tous ces déchets radioactifs, entassés dans des sacs? Personne ne veut de ces déchets bien sûr.

Les sacs de déchets radioactifs attendant leur sort...


La solution miracle du gouvernement? Utiliser ces déchets radioactifs dans la construction! Et celui-ci de rassurer la population en disant que les déchets seront protégés par des murs en béton. Aoki a interpellé le gouvernement en lui demandant ce qu'il ferait en cas de tremblements de terre (très fréquents au Japon). Celui-ci ne lui a pas répondu...

Les plans du gouvernement concernant l'utilisation des déchets dans la construction de routes notamment!


De plus, le gouvernement vient de lever l'ordre d'évacuation de plusieurs zones autours de Fukushima, alors que les mesures effectuées par Aoki et ses collègues ont montré une très forte radioactivité dans l'air dans ces mêmes zones! Qui ne décroîtra que très très lentement (vu que la demi-vie radioactive du caesium 137, le principal contaminant, est de 30 ans, ce qui signifie une disparition à peu près totale après plus de 300 ans seulement!!). Beaucoup de gens ne veulent pas retourner chez eux par crainte pour leur santé, mais certains, pour des raisons économiques, n'auront pas le choix, car le gouvernement cesse de les indemniser...

Les barres bleues sont le niveau de radioactivité de l'air mesuré par Aoki et ses collègues dans des zones données. On voit qu'il est très élevé; et pourtant, le gouvernement a levé l'ordre d'évacuation dans le premier et deuxième bloc entouré de rouge...


Nous avons demandé à Aoki ce qu'il ferait s'il était à la place du gouvernement. Il a répondu directement: annuler les futurs Jeux Olympiques au Japon, et financer les habitants des zones encore contaminées pour qu'ils puissent définitivement s'installer ailleurs! Aoki dit que le gouvernement a les moyens financiers de le faire: le tout est de voir où sont ses priorités. Par exemple, le gouvernement a financé la construction de très très coûteux incinérateurs pour les déchets radioactifs (afin de réduire leur volume). Or, ce faisant, leur radioactivité est relâchée dans l'air (malgré un filtrage de la fumée) et se répand alors librement grâce au vent! À qui cela profite-t-il? Aux entreprises de construction comme Mitsubishi!

Les incinérateurs construits par le gouvernement ont coûté plusieurs milliards de yens!


On voit donc qu'une catastrophe nucléaire comme celle qui a eu lieu il y a 6 ans à Fukushima est une catastrophe qui a des impacts humains énormes: déplacements de populations avec tout le traumatisme psychologique lié, développements de cancers et autres maladies, etc. De plus, Fukushima aurait pu être vraiment beaucoup plus grave si le vent avait soufflé vers les terres (le vent a poussé plus de 90% de la radioactivité vers l'océan)!! Mais cette catastrophe a aussi des impacts écologiques: si la radioactivité a des impacts sur les humains, elle en a forcément aussi sur les animaux et les plantes! Ainsi, après la catastrophe, des scientifiques ont remarqué des phénomènes étranges de mutation de plantes et d'animaux: la formation des branches de certains arbres a changé, des œufs de grenouilles ont pourri ou ont donné lieu à des animaux malformés, la population de chauve-souris a chuté dans une région, etc.


Face à de telles conséquences lors d'une catastrophe nucléaire, quel est la perception de la population face à l'énergie nucléaire? Selon Aoki, environ 60% de la population serait contre le maintien de l'énergie nucléaire au Japon. Mais le gouvernement est pour, et les médias vont dans son sens, diffusant sans cesse l'idée que tout va bien désormais, qu'un retour à la normale est possible. Or, pour Aoki, un retour à la normale est impossible, car comme nous l'avons vu plus haut la radioactivité ne disparaît pas d'un coup de baguette magique... Et la plupart des gens ne sont pas au courant!


Le Japon, avant Fukushima, tirait 30% de son énergie du nucléaire. Comment faire pour s'en passer, surtout dans un contexte de réchauffement climatique où il faudrait diminuer le recours aux énergies fossiles comme le pétrole, le charbon ou le gaz? Aoki, philosophe, nous a donné son avis: selon lui, c'est notre mode de vie qui doit être changé. En relocalisant la production, en changeant nos habitudes de consommation, notre consommation d'énergie diminuera fortement. Il reste critique face aux énergies dites renouvelables, qui selon lui provoquent également la destruction de l'environnement (il pense aux panneaux solaires).


Nous ne pouvons qu'être admiratifs face au travail réalisé par Aoki et ses collègues. De tout cœur, merci à eux!




Pour approfondir le sujet, voici des articles écrits par David Boilley, de l'ACRO:




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