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Les jardins japonais ou la nature au Japon

Le choix du Japon comme destination pour notre projet n'était pas anodin: nous souhaitions y trouver une vision de la nature qui dénoterait de celle des Etats-Unis, basée sur le concept de wilderness. Pour ce faire, nous avons décider d'investiguer sur les fameux jardins japonais! Nous avons pu interviewer à ce sujet Nicolas Fiévé, architecte et Directeur d'études à l'EPHE, spécialiste de l'histoire des jardins japonais, actuellement professeur invité à Kyoto. En prolongement, nous avons également interviewé Benoît Jacquet, architecte travaillant au centre EFEO à Kyoto, sur la place de la nature dans l'aménagement des villes et la construction.

Nicolas Fiévé

Benoît Jacquet

Les jardins japonais

Le style des jardins japonais dénote de celui des jardins français à la Versaille (très géométrique) mais aussi de celui des jardins anglais d'apparence plus sauvage.


Il y aurait trois grands types de jardins japonais: les jardins de plaisance, les jardins des temples bouddhistes zen et les jardins à l'entrée des maisons de thé.


Jardins de plaisance


Les jardins de plaisance se retrouvent autour des châteaux, des palais impériaux, de certains temples, mais aussi dans les simples jardins des particuliers.

Jardin du célèbre Kinkaku-ji à Kyoto

On y retrouve plusieurs éléments récurrents: la présence de l'eau, de rochers, d'arbres taillés. Ce qui est le plus important à comprendre, c'est que ces éléments symbolisent souvent des paysages plus larges et sauvages, à savoir: l'eau représente la mer, l'océan, les lacs, les cascades (selon comment elle est utilisée), les rochers représentent des îles, des montagnes, et les petits arbres taillés en représentent de grands, ou des forêts. On a ainsi un univers extrêmement travaillé avec soin et minutie par la main de l'homme (tous les détails sont importants!), mais qui représente ultimement une nature vaste, sauvage et intouchée! Les paysages représentés sont des paysages connus du Japon ou de Chine. Parfois, ils s'attachent également à représenter des peintures!

La cascade de Nachi représentée en miniature au sanctuaire shinto attenant...

Et l'originale!

Nicolas Fiévé nous confiait ainsi que les Japonais aiment se promener dans les jardins ou dans les parcs des sanctuaires durant le week-end, mais ne recherchent pas les promenades dans des grandes forêts peu fréquentées. Certains préféreraient ainsi la copie à l'original...


Les jardins des particuliers, même s'ils sont tout petits, suivent le même schéma: arbres taillés, rochers, étang avec des poissons... Notons également l'usage de la mousse pour représenter l'herbe ou de manière générale la végétation:

Ici, la mousse représente la végétation, et les graviers représentent une rivière... Dans un sanctuaire à Arashiyama.


Et ce que les Japonais aiment par dessus tout, ce sont les saisons! Ainsi, ils feront exprès de mettre près des temples et sanctuaires des arbres qui fleuriront au printemps (les pruniers fleurissent fin février et les cerisiers fin mars dans la région de Kyoto), ainsi que des arbres dont les feuilles rougiront à l'automne (comme les érables).

Fleur de prunier dans le jardin autour du Ryoan-ji

La floraison des cerisiers donne d'ailleurs lieu à de grandes réjouissances, appelées hanami: les Japonais se réunissent en-dessous des cerisiers en fleurs pour les contempler, boire, manger, etc. Nous aurons l'occasion de vivre cela à Tokyo! L'amour des Japonais pour les saisons se manifeste également dans les haikus, ces poèmes très courts, souvent de trois vers, qui doivent exprimer un changement de saison.

Le sanctuaire shinto de Kamigamo est célèbre pour ses pruniers qui fleurissent de concert fin février. Le week-end, les Japonais viennent en masse pour les admirer!

Le parc du palais impérial de Kyoto possède également un bosquet de pruniers très fréquenté!

Jardins des temples zen


Les jardins des temples zen se démarquent des jardins de plaisance par leur plus grande austérité. Et pour cause, il s'agit de jardins destinés à la méditation des moines. On y retrouve seulement une étendue de graviers, sur laquelle sont disposés avec soin un certain nombre de rochers.

Le célèbre jardin du temple Ryoan-ji. On ne peut voir tous les quinze rochers d'un coup quel que soit le point de vue, sauf si l'on a atteint un niveau spirituel élevé par la méditation, dit-on...

À nouveau, les rochers représentent des montagnes, et les graviers l'eau.

Jardins des maisons de thé

Les jardins des maisons de thé sont des jardins par lequel on passe avant d'entrer dans la maison de thé. Ils ont pour but de purifier la personne, comme une sorte de chemin de pèlerinage afin de quitter le monde pour entrer dans un monde de spiritualité. Ils sont plus touffus en végétation afin de masquer l'environnement extérieur et de permettre le détachement spirituel. La cérémonie de thé est en effet un moment très précieux, que nous avons eu la chance de vivre dans une version très simplifiée. Une femme vient d'abord offrir aux convives des sucreries pour préparer la bouche à l'amertume du thé. Ensuite, le matcha (thé en poudre) est servi dans un bol de grande valeur, que l'on se doit d'admirer après avoir bu précautionneusement. Enfin, un thé plus classique est servi pour terminer. Le tout se fait avec grand sérieux.


La nature dans les villes


Quelle place occupe la nature dans les villes japonaises? Selon Benoît Jacquet et Nicolas Fiévé, la nature est présente par différents éléments dans la ville de Kyoto. Tout d'abord, les montagnes boisées des alentours de la ville ont été préservées depuis assez longtemps. Les habitants se sont rendus compte de l'importance de sauvegarder ce paysage millénaire. Du coup, la coupe des arbres y est assez réglementée, afin de sauvegarder les forêts. Toujours selon nos intervenants, les montagnes, peuplées d'innombrables kami, sont traditionnellement le lieu où se retirent les âmes des défunts, chaque année à l'occasion de la fête Obon. Ces anciennes croyances ont permis de tisser des liens forts entre les habitants de la plaine et les zones sauvages des montagnes. Depuis le large fleuve qui traverse Kyoto, on peut voir les montagnes au loin...

Bon, ici on a encore les couleurs de la sortie de l'hiver... dans quelques semaines, avec la floraison, tout va se colorer !

Le fleuve est également un lieu de rassemblement convivial, et de nombreux oiseaux comme les hérons s'y plaisent!

Vue sur Kyoto de nuit depuis la montagne où se trouve le Fushimi Inari shrine. Les corbeaux font un ballet et les montagnes au loin disparaissent dans les nuages.


Un élément important est également apporté par les habitants de la ville eux-mêmes, qui n'hésitent pas à verdir les rues de Kyoto en posant devant leurs maisons de multiples pots de fleurs!


Le bois dans les sanctuaires


Le bois est un matériau de construction très populaire au Japon, dû notamment à la large présence de forêts sur l'île. Ce qui valut à la ville de Kyoto d'être ravagée par de grosses incendies dans son histoire... C'est également le matériau privilégié dans la construction des sanctuaires shinto et de leurs célèbres toriis, les "portails" y menant. Benoît Jacquet nous a ainsi raconté les vieilles techniques utilisées pour avoir des troncs de bonne qualité. Les branches étaient coupées afin de favoriser une repousse droite du tronc, sans branches. Les arbres étaient abattus lors de journées de grande chaleur, afin de favoriser un séchage naturel.


Les toriis du Fushimi Inari ont nécessité de grandes quantités de troncs d'arbres!

Merci à Nicolas Fiévé et Benoît Jacquet de nous avoir fait découvrir cet univers étonnant!

Petite réflexion philosophique...

Le jardin de plaisance japonais, basé sur la miniaturisation de grands paysages réels, représente le type de jardin le plus répandu. En tant que photographes, nous avons donc fait un parallèle. Nous aimons décorer notre maison avec des photographies de beaux paysages. Cela nous permet de garder un contact avec la nature que nous aimons. Mais n'est-ce pas exactement ce que fait un jardin de plaisance japonais à l'époque où la photographie n'existait pas ? Pour garder une connexion avec un paysage, on le reconstruit en miniature chez soi avec de vraies plantes et rochers à agencer minutieusement...


Nicolas Fiévé a approuvé l'analogie et a précisé qu'en effet, même si la peinture de paysages existait déjà au Japon à l'époque ancienne, jusqu'au XIVe siècle il était rare d'en accrocher aux murs. En effet, beaucoup de bâtiments étaient dépourvus de murs permanents car le jardin était considéré comme faisant intégralement partie du lieu de vie. Ainsi, les construction étaient souvent ouvertes sur le jardin afin de permettre une vue permanente dessus. Le seul élément possible de décoration était donc le jardin ! Et la seule façon d'évoquer un grand paysage était alors de le reproduire dans le jardin.


Le jardin japonais est donc l'opposé du jardin sauvage au sens où rien, pas même la minuscule touffe d'herbe, n'est laissé au hasard. Mais en revanche, il évoque en force la nature sauvage comme pourrait le faire une photographie. Il est donc bel et bien un medium qui connecte l'habitant à la nature.


Mais cette connexion est particulière car dans la plupart des cas, les gens n'auront pas le désir d'aller voir le paysage naturel lui-même et préféreront une nature jardinée. On pourrait presque dire que le rapport japonais à la nature est littéralement un rapport aux jardins ! La nature laissée à l'état sauvage ne peut pas vraiment atteindre son potentiel, il lui faut la main de l'homme. Le jardin est donc l'aboutissement esthétique, le mariage entre la beauté humaine et la beauté naturelle.


Nous sommes donc très loin du culte de la wilderness américaine où un paysage est d'autant plus beau que l'humain y est absent.


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