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Et si l'on cueillait dans la forêt ?

Beaucoup de choses se passent au sud-est brésilien !



Interview de Gilson, professeur d’agroécologie


Durant les derniers jours de notre séjour au Brésil, nous avons pu rencontrer, grâce à nos amis Raphaël et Liza, un homme nommé Gilson. Nous l’avons retrouvé à Matinhos, une ville sur la côte sud-est du Brésil, où il nous a accueillis avec une grande gentillesse et nous a offert d’y passer la nuit.

Gilson


Gilson Walmor Dahmer enseigne l’agroécologie à l’Universidade Federal do Paraná et nous a parlé d’une forme d’« agriculture » pratiquée au Brésil et appelée extrativismo. Situons-la à partir d’un panorama des formes d’agriculture que Gilson nous a dépeint. En allant de la plus destructrice à la plus respectueuse de la nature (selon Gilson), voici les différentes pratiques agricoles brésiliennes :

  • agriculture conventionnelle, intensive et industrielle

  • agriculture biologique

  • agriculture de conservation ou d’intégration

  • polyculture

  • agroforesterie

  • extractivisme.

Nous voyons que dans ce tableau, le bio est le plus destructeur juste après l’agriculture industrielle ! Expliquons brièvement en quoi consistent ces formes d’agriculture.


L’agriculture conventionnelle n’a pas besoin d’être présentée. Elle est non-durable pour de nombreuses raisons, comme par exemple son usage massif d’intrants pétrochimiques ou son labour ultra-mécanisé qui appauvrit la terre. Elle détruit la biodiversité au profit d’une monoculture sur un sol devenu stérile (sans parler de la qualité de ce qu’elle produit…).


L’agriculture biologique, ici vue dans sa version à grande échelle (et évaluée par les grands labels bio), est une agriculture conventionnelle restreinte par diverses régulations (rejet des intrants de synthèse, des OGMs, etc.). Mais de nombreux agriculteurs bio continuent à travailler la terre comme des agriculteurs conventionnels. Bien sûr, il y a de nombreuses formes d’agricultures bio et l’écart entre la moins respectueuse et la plus respectueuse peut être énorme. Cependant, il s’agit souvent en pratique d’une forme de monoculture avec labour.


L’agriculture de conservation vise à maintenir la qualité du sol par divers moyens. En principe, elle diminue son usage d’intrants, évite voire rejette le labour du sol (qui détruit la vie bénéfique qui s’y trouve), couvre le sol de matière organique pour le nourrir, et favorise sa régénération par une rotation des cultures.


La pluriculture est le contraire de la monoculture. Elle désigne l’intégration, sur une même terre, de plusieurs espèces mutuellement bénéfiques afin d’imiter l’équilibre et la complémentarité que l’on trouve dans les écosystèmes naturels. Elle est un des principes de la permaculture.


L’agroforesterie est une pluriculture qui intègre les arbres. La couverture organique du sol est générée à partir des arbres et repose sur la culture simultanée d’espèces aux cycles variés, ce qui permet de produire en permanence.


L’extractivisme consiste à… prélever dans une forêt ce dont on a besoin ! Mais attention, le terme est ambigü : l’extractivisme industriel désigne le pillage des ressources naturelles afin de les exploiter économiquement, tandis que nous parlons ici de l’extractivisme pratiqué depuis des siècles par des populations vivant au contact des forêts. Cette pratique est respectueuse de l’environnement car elle est traditionnellement fortement régulée. Par exemple, les cycles de chaque espèce sont connus en profondeur et les fruits ne sont jamais prélevés au-delà de la capacité des arbustes à se régénérer. De plus, un semis est pratiqué mais dans une optique d’aménagement d’une forêt saine, et non dans le but que chaque graine produise pour être exploitée. On peut dire que l’extractivisme, dans sa forme la plus aboutie, est une agroforesterie où l’impact de l’humain est encore moindre. On découvre aujourd’hui que de nombreuses forêts que l’on croyait primaires (comme la forêt amazonienne) sont en fait le résultat d’un aménagement effectué sur des siècles par les peuples ancestraux qui y habitaient. Ces forêts ne seraient donc pas vraiment « sauvages » !


Bien sûr, cette classification est sommaire et de nombreuses pratiques mélangent différents aspects de l’une ou l’autre forme archétypique d’agriculture.


Par ailleurs, cette classification ne concerne que le caractère respectueux de l’environnement : elle ne tient pas compte de la productivité, par exemple. Il est clair que l’extractivisme n’est pas praticable n’importe où, et qu’une agroforesterie dépend fortement du climat et des espèces régionales. L’intérêt de ce tableau est qu’il nous fournit une certaine vision de différentes alternatives susceptibles de nous inspirer.


Merci Gilson ! Mais ce n’est pas terminé : après l’interview, il nous a emmenés rencontrer un de ses étudiants.




Interview d’Isael


Isael Alves da Silva est membre d’une communauté Caiçara. Les Caiçara sont les descendants de peuples Européens venus au Brésil et s’étant mélangés avec les indigènes et les Africains. Ils vivent au sud-est brésilien, près du litoral. Ils sont usuellement considérés comme un peuple de pêcheurs et d’artisans. Isael fait partie de la Comunidade Rio Sagrado de Cimo, basée entre deux fleuves portant le même nom de Rio Sagrado.

Isael, qui nous a gentiment reçus chez lui


Il se trouve que, par le passé, ils ont traditionnellement pratiqué l’extractivisme (conjointement à d’autres formes d’agriculture). Toutefois, le gouvernement a peu à peu contraint cette pratique jusqu’à causer son extinction actuelle. Quelles en sont les raisons ?


À l’origine, la pratique extractiviste était entièrement respectueuse de l’environnement. Toutefois, le gouvernement a progressivement interdit l’extraction sur certaines espèces afin de les « protéger ». Pour maintenir leurs revenus sur les marchés, les peuples ont donc peu à peu dû se rabattre sur les quelques espèces encore autorisées en y prélevant leurs produits avec une agressivité croissante. De plus, comme les prix de vente (faibles…) sont souvent décidés par les acheteurs, la pression sur l’extractivisme s’est accrue au point d’en faire une activité problématique pour l’environnement. Exemple : l'extraction massive de cœurs de palmiers, pratique relativement juteuse mais qui tue le palmier à chaque fois.


Par ailleurs, la création par l’État de parcs nationaux est venue avec l’interdiction d’y pratiquer toute forme d’extractivisme. Ne pouvant plus vivre de leurs forêts, les peuples ont été laissés à eux-mêmes… avec toutes les difficultés du monde.


Isael pousse ainsi un cri du cœur : pourquoi protéger des forêts en excluant des peuples dont les pratiques étaient initialement respectueuses, alors qu’on laisse faire les gros agriculteurs industriels qui déboisent et détruisent tout sur leur passage ? L'État propose certaines compensations, comme le programme Bolsa Verde qui offre une petite somme à des habitants en échange de leur participation à la préservation de forêts. Mais à quel point des initiatives de ce genre sont-elles adaptées ?


Nous retrouvons encore une fois le problème central de l’écologisme actuel : comment concilier protection de la nature et présence humaine ? L’idée qu’une nature « préservée » est nécessairement « vierge de toute intervention humaine » fait ici des dégâts…


Merci à Isael de nous avoir livré un aperçu de la réalité de terrain de sa communauté !

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