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Une spiritualité japonaise au Brésil

Nous sommes au Brésil !


J'écris ce texte depuis Rio de Janeiro, connue pour ses plages, son carnaval et son Christ Rédempteur !

Une plage de Rio ! Ben oui, même si notre séjour au Brésil ne se prête guère à la photographie, on ne peut survivre longtemps sans déclencher de temps en temps... Nous n'étions pas les seuls comme vous pouvez le constater!

Le soir précédent, le spectacle était encore plus magique! Heureusement que François et son smartphone étaient là pour nous permettre de partager avec vous ce moment!

Le fameux Cristo Redentor vu depuis le balcon de notre logement !


Le Brésil est un pays énorme à l'économie redoutable. C'est aussi le pays de l'agriculture, le deuxième plus gros producteur mondial de soja. C'est donc l'occasion pour nous d'aborder, pour la première fois depuis le début de notre projet, le rapport à la nature chez les agriculteurs. Grâce à l'aide inestimable de notre ami François, dont les talents de traducteur sont hautement recommandables, nous avons pu rencontrer une belle initiative.


Le Brésil héberge la plus grande communauté de Japonais expatriés dans le monde. Nous avons pu visiter le Centro de Pesquisa Mokiti Okada (Centre de Recherche Mokiti Okada) qui est situé ici :

Mokiti Okada (1882-1955) est un penseur japonais figurant parmi les précurseurs d'une agriculture dite "naturelle". Il s'agit globalement d'une approche de l'agriculture qui vise à imiter la nature plutôt qu'à la contrôler. Plusieurs formes existent (la nature farming d'Okada, la natural farming de Masanobu Fukuoka, et d'autres), mais un point commun est le refus total d'utiliser des intrants (engrais, pesticides, ...). Ces formes d'agriculture se sont développées au Japon à partir des années 1930, ce qui est remarquablement tôt ! Il semble également que la permaculture (formulée par les australiens Mollison et Holmgren dans les années 1970) soit en partie inspirée des principes de l'agriculture naturelle.


Plusieurs institutions diffusent et poursuivent aujourd'hui le projet d'Okada à travers le monde, notamment au Brésil. Mais quel était son projet ?



La pensée de Mokiti Okada


Pour Mokiti Okada, l'agriculture n'était pas qu'une technique de production mais était partie intégrante de toute une vision du monde (une spiritualité, pourrait-on dire). Dans sa pensée, tous les êtres naturels, tant humains que non-humains, possèdent un esprit et des sentiments, et notre relation avec eux doit tenir compte de cette réalité. De plus, il croyait en une correspondance entre le climat naturel et le climat spirituel humain : si les idées humaines d'une société sont pessimistes et sombres, l'environnement naturel deviendra instable et hostile. À l'inverse, si les idées humaines sont positives et lumineuses, l'environnement naturel acquerra la même saveur.

Mokiti Okada (1882-1955), également appelé Meishu-sama


Pour cette raison, pour résoudre les grands maux du monde, y compris la crise environnementale (l'avait-il prédite de son vivant ?), il est nécessaire d’œuvrer à la racine de ces maux en améliorant les idées humaines. Dans le langage de l'anthropologie occidentale, on pourrait dire que pour Mokiti Okada, il faut avant tout améliorer l'imaginaire de la société.


Il s'est alors engagé dans un projet infiniment ambitieux : celui de contribuer au sauvetage spirituel du monde et de le transformer en un paradis où beauté, bonté et vérité seraient à nouveaux réunis. Projet messianique par excellence, et c'est pour cela qu'il a fondé l'Église Messianique Mondiale (Sekai Kyūsei Kyō en japonais, ou encore World Messianic Church en anglais). Ce mouvement est donc bel et bien religieux et basé sur les enseignements d'Okada.


Comprenons bien que le Japon diffère de l'Occident en ce qu'il héberge une spiritualité traditionnelle fort présente dans le quotidien. Le Shintô, la religion traditionnelle japonaise, considère que tout être vivant possède un esprit et accorde une valeur inestimable à la nature (en particulier aux forêts). Okada s'inscrit ainsi dans une certaine tradition japonaise, tout en ayant développé sa propre vision du monde.


Pour Okada, il y a trois pratiques nobles : la médecine, l'art et l'agriculture. Pour lui, les agriculteurs doivent être respectés comme étant ceux qui œuvrent activement à la survie de l'humanité. De plus, l'agriculture n'est pas qu'une technique de production mais toute une pratique spirituelle permettant de se connecter à la nature. Quant à l'art, en particulier l'art (japonais) des jardins, il est le domaine privilégié pour cultiver son sens de la beauté, une valeur fondamentale.



Interlude : spiritualité et religion à l'époque de la science


Grande question ! L'agriculture naturelle repose ultimement sur le système de pensée d'Okada. Ce système repose sur certaines vérités fondamentales (comme par exemple la correspondance entre climat spirituel et climat naturel) et postule l'existence de certaines entités spécifiques (telle que le johrei, la "lumière divine", qui est centrale notamment dans la technique de guérison d'Okada). Ces éléments ne sont pas actuellement reconnus par la science occidentale et ont donc le même statut que le Saint Esprit chrétien, par exemple. D'autres formes d'agriculture reposent sur un système de pensée philosophico-spirituel (l'agriculture biodynamique, par exemple, basée sur les enseignement de Rudolf Steiner).


La question est alors : quelle est la valeur d'une agriculture qui repose sur des principes scientifiquement non prouvés ?


Notre position, au sein de notre projet, est pragmatique. Indépendamment des qualités ou défauts de ses justifications théoriques, une pratique agricole peut être concrètement efficace. Si c'est le cas, c'est qu'elle saisit des mécanismes parfaitement réels dont il faut tenir compte et qu'il faut explorer.


Par ailleurs, l'agriculture d'Okada est imprégnée de certaines valeurs et nous pouvons explorer les vertus éthiques de ces valeurs, indépendamment de leurs fondements théoriques. Justement, la pensée d'Okada nous semble être d'une grande pertinence éthique.


Enfin, pour les scientifiques parmi vous, la vérité scientifique des postulats d'Okada est explorée sur le terrain dans le Centre de Recherche que nous avons visité. N'hésitez pas à prendre connaissance de leurs travaux :-)



L'agriculture naturelle d'Okada


Okada a développé les principes fondamentaux d'une agriculture dite "naturelle". La traduction française est ici très imparfaite et ne reflète pas le sens authentique de son appellation japonaise qui est shizen nōhō. En attendant une traduction plus pertinente, je me contenterai de l'expression "agriculture naturelle".


Cette agriculture refuse l'usage d'engrais et de pesticides en tout genre. L'agriculture naturelle diffère donc de l'agriculture bio en refusant idéalement tout intrant, même biologique. En pratique, toutefois, selon l'état du sol et des semences disponibles, certains intrants bio peuvent encore être nécessaires.


Plus généralement, il s'agit de cultiver la terre de façon à lui rendre son autonomie. C'est la nature qui fait le mieux les choses et l'être humain devrait admirer la terre et l'aider à s'épanouir, plutôt que la dominer pour la faire produire. Il faut souligner qu'à l'origine, Okada n'a pas proposé de méthode concrète et précise d'agriculture. Son agriculture naturelle est avant tout basée sur des principes spirituels, que chacun peut tenter de convertir en techniques concrètes de travail de la terre. C'est notamment ce que fait le Centre de Recherche suivant.



Le Centre de Recherche Mokiti Okada - Les interviews


Ce Centre nous a reçus très chaleureusement. Nous avons pu passer une journée entière à visiter les champs et les laboratoires, et à mener des interviews. Au final, nous aurions bien eu besoin de deux jours pour aborder tous les sujets intéressants !

Sakae Kinjo présente à notre ami François les salades qu'ils cultivent sous serre afin de produire des semences bio.

Un de leurs champs d'expérimentation afin de voir si certaines espèces classiquement utilisées dans l'agriculture conventionnelle conviennent à l'agriculture naturelle.

Le Centre poursuit plusieurs missions concrètes. L'une d'elle est de faire de la recherche sur des semences adaptées à une agriculture de transition au Brésil (pour une transition entre l'agriculture conventionnelle et une agriculture bio ou naturelle). Le marché brésilien des semences bio semble être très pauvre et rend difficile toute conversion vers une agriculture non "chimique". Le Centre possède des champs destinés à la production de semences bio.


Un autre projet de recherche consiste à explorer le rôle joué par les micro-organismes dans la terre, en particulier autour des racines des plantes. En effet, dans la nature, l'environnement immédiat d'une plante contient trois acteurs : la plante, la terre et les micro-organismes. Ces derniers influent fortement sur l'absorption par la plante des matières nutritives présentes dans la terre. L'agriculture conventionnelle, par son usage des engrais et autres herbicides, détruisent notablement ce troisième acteur. À cet égard, la devise du Centre est de redonner la vie à la terre.

Les racines d'une plante de soja. D'innombrables micro-organismes vivent dans cet environnement !


Le Centre est également en partenariat avec Korin, un producteur majeur de poulets au Brésil. Leur spécificité est l'élevage de poulets sans antibiotiques (même à usage vétérinaire). Là aussi, cette pratique est influencée par la pensée de Mokiti Okada, qui refuse l'utilisation d'antibiotiques (à l'image des pesticides), que ce soit dans l'élevage ou dans la médecine humaine. Nous avons pu visiter une petite ferme de poulets Korin non loin de là.

Ces poulets sans antibiotiques sont réputés dans le monde entier ! Ils évoluent en plein air mais peuvent être rassemblés dans un enclos en cas de forte pluie pour les empêcher de boire l'eau des flaques parfois impropres. Leur élevage est fortement individualisé : pas de traitement de groupe, mais une surveillance attentive de l'état de santé de chaque individu. Le traitement des maladies est avant tout préventif, et les individus malades sont isolés du groupe pour des soins individuels.


Vous l'aurez compris : la pensée d'Okada ne semble pas interdire de manger de la viande. Pour lui, chaque espèce a un rôle à jouer, et celui des animaux est entre autres de nourrir les humains. Ce qui ne l'empêche pas de considérer que ces êtres ont un esprit, et de demander aux hommes de les traiter avec respect et reconnaissance. D'une certaine manière, on rejoint ici le discours des natifs américains!


Et enfin, les interviews ! Trois personnes ont généreusement accepté de parler devant la caméra : Sakae Kinjo, qui gère la recherche sur les semences et a également pu nous parler de la philosophie d'Okada, Valdionei Giassi, biologiste passionné étudiant le sol et les micro-organismes et mettant au point un produit destiné aux agriculteurs et contenant des micro-organismes bénéfiques, et Leikka Iwamura, qui gère la production animale et nous a fait visiter l'élevage de poulets.

Sakae Kinjo


Valdionei Giassi


Leikka Iwamura


Les interviews furent agréables et de très belles idées ont fusé !


"Les agriculteurs sont les trésors de la société."

"Dans la nature, il n'y a pas d'agent pathogène. Toute maladie est un déséquilibre dans les relations entre organismes."

"Il faut dire merci aux plantes."

Un tout grand merci en tout cas à eux trois pour leur accueil chaleureux, leur enthousiasme et leurs belles idées, qui c'est sûr, influeront positivement sur le monde!




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