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Interview de Holmes Rolston III

Holmes Rolston III fait partie des premiers philosophes américains à avoir inauguré, il y a plusieurs décennies, ce que l'on appelle aujourd'hui la philosophie environnementale anglo-américaine. Il aime raconter, avec un air amusé, qu'il a eu la chance de donner des conférences sur les sept continents... c'est-à-dire y compris en Antarctique ! Notre rencontre avec lui fut également une rencontre entre deux générations : d'une part, un homme de 83 ans ayant assisté à la Seconde Guerre, au premier pas sur la Lune, à l'arrivée de l'électricité, à la révolution verte, à l'apparition de l'informatique et d'internet, et d'autre part, les jeunes de la génération Y que nous sommes. Tout pourrait nous séparer, et pourtant, nos chemins se croisent parce que nous nous posons les mêmes questions à propos de la nature... Oui, chez l'humain, les idées peuvent voyager de génération en génération. Et Rolston y accorde une attention particulière, comme nous le verrons.

Holmes Rolston III, bien sûr, devant un épicéa bleu (blue spruce), un arbre typique du Colorado.

(Il tenait à poser devant cet arbre situé devant sa maison !)


Nous l'avons interviewé chez lui, dans son "bureau" situé en bas de la maison où la lumière était suffisante sans être éblouissante. (On découvrira plus tard que les néons ont provoqué un scintillement laborieux à corriger en post-production.) L'interview a été agréable et intéressante, malgré le fait que Pascale ait dû sortir plusieurs fois de la pièce pour contenir les toussotements qui l'accablent ces jours-ci. Après l'interview, nous nous sommes installés sur la table du jardin soigneusement préparée par son épouse pour prendre un goûter de cakes, de "frites de fromage", d'abricots séchés, de noix de cajou et de cidre ! Après avoir remercié le Seigneur pour ce repas, nous avons alors discuté de nature, des parcs nationaux, de nos professions, des actualités... Un moment mémorable de plus !



La théorie de l'évolution et le "pays des merveilles"


La théorie de l'évolution est un élément central dans la pensée de Rolston. En y réfléchissant sérieusement, on peut se rendre compte qu'elle nous livre une image absolument incroyable de la vie. Chaque espèce, y compris l'espèce humaine, est le fruit d'un processus d'adaptation complexe qui s'étend sur plusieurs milliards d'années. Chaque organisme a acquis, au fil du temps, des caractéristiques propres et remarquablement adaptées à un environnement toujours changeant. Le résultat de cette aventure est la biosphère terrestre, d'une richesse, d'une diversité et d'un équilibre époustouflants. Selon Rolston, notre planète est un wonderland, un "pays des merveillles", un joyau unique dans le système solaire et probablement rare dans l'univers. La science, en particulier la théorie de l'évolution, nous permet de comprendre à quel point la nature est ingénieuse et immensément créative. Le "génie naturel", lorsqu'on en prend conscience, ne peut que susciter en nous un profond sentiment de respect et d'admiration.


Pour Rolston, il est illusoire de croire que le génie humain puisse se substituer au génie de la nature terrestre (par exemple, en croyant que la technologie seule pourrait résoudre les problèmes environnementaux, ou qu'il suffirait d'aller coloniser une autre planète). Notre planète est un trésor rare, et rien que pour ça elle mérite la plus grande des considérations.


Ainsi, la question n'est pas : la nature mérite-t-elle notre respect ? Le constat serait plutôt : lorsqu'on la comprend, la nature suscite inévitablement notre respect.



Ce qui distingue l'humain du reste de la nature


La théorie de l'évolution nous amène à penser que l'humain n'est qu'une espèce parmi d'autres, un "compagnon voyageur des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution" (Aldo Léopold, Almanach d'un comté des sables). L'humain est donc fondamentalement un fruit de la nature.


Mais en même temps, nous dit Rolston, l'humain se distingue de tout le reste de la nature. En effet, l'humain est la seule espèce qui produit une culture transmissible de génération en génération. Oui, les animaux ont un langage et peuvent communiquer entre eux. Oui, ils peuvent avoir des émotions et des comportements proches de ceux des humains. Mais aucun animal n'est, à ce jour, capable de transmettre un savoir culturel à sa progéniture. Le théorème de Pythagore a été découvert il y a 2500 ans, et est toujours enseigné aujourd'hui à l'école. Nous lisons des livres écrits il y a des siècles. Notre cerveau est biologiquement le même que celui de l'homme préhistorique : la seule chose qui a changé, c'est le développement de la culture, qui scelle l'unicité de l'espèce humaine parmi toutes les autres.


Rolston ajoute : l'humain est le seul animal capable de se préoccuper de l'environnement, des autres espèces et du futur. Quel dommage s'il renonçait à cette préoccupation qui le rend si unique, si spécifiquement humain !



La valeur de la nature


Les paysages islandais, les couchers de soleil, les orchidées, les tigres majestueux, ... oui, la nature est belle. Mais n'allons-nous pas trop vite ? Rolston prend la voix de ses contradicteurs en s'adressant à lui-même : "Sûrement, Rolston, tu dois reconnaître qu'un cadavre d'animal, qui pue et qui attire les mouches, c'est laid, n'est-ce pas Rolston ? Et le serpent venimeux ? Et l'insupportable moustique ? Sont-ils beaux ?" Rolston reprend sa voix et répond à la critique : "Oui, ils sont beaux."


Mais pour voir leur beauté, il faut prendre un peu de recul. Un animal mort est une source de nourriture pour d'autres animaux qui gagnent la chance de survivre. Un tronc d'arbre mort est un abri inestimable pour toutes sortes d'animaux. Le moustique pique pour trouver des protéines nécessaires afin de donner vie à une progéniture. C'est le cycle de la vie : dans la nature, il n'y a pas de déchet, tout se recycle. La mort est permanente, mais elle n'a jamais le dernier mot. Rolston s'extasie devant ce fait : "Life is perpetually renewed in the midst of its perpetual perishing" *. Et ça, c'est beau. "What a wonder ! What beautiful Earth !" s'exclame Rolston.


La forêt, lieu par excellence, pour Rolston, du renouvellement de la vie. (Cf. l'article cité plus bas.)

Image provenant de Google Images.


(* Traduction : la vie se renouvelle perpétuellement par-delà sa perpétuelle destruction.)


(On a adoré sa façon de dialoguer avec lui-même !)


À lire :

  • Holmes Rolston III, A New Environmental Ethics: The Next Millennium for Life on Earth, Routledge, 2011. Une excellente introduction à la philosophie environnementale et à ses thématiques.

  • Holmes Rolston III, "Aesthetic Experience in Forests", The Journal of Aesthetics and Art Criticism, Vol. 56, Issue 2, Environnmental Aesthetics (Spring 1998), 157-166. Petit texte sur l'esthétique des forêts...

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