John Baird Callicott
John Baird Callicott est un tenant majeur de la philosophie environnementale contemporaine, de renommée internationale. Eh bien figurez-vous qu’il nous a invités chez lui ! :) Durant les deux journées que nous avons passées dans son loft donnant sur le Mississippi, nous avons pu l’interroger longuement sur sa pensée.
Aldo Leopold
Callicott est en réalité d’abord un commentateur : celui d’Aldo Leopold. Figure de proue de la lutte pour la protection de la nature sauvage aux Etats-Unis, Aldo Leopold est l’auteur du célèbre « Almanach d’un comté des sables », dans lequel il conte sa vie dans la nature, qui est majoritairement une expérience de … chasseur ! Nous y reviendrons. A la fin de son Almanach, Leopold esquisse ce qu’il appelle « l’éthique de la terre ». C’est cette éthique que Callicott s’est employé à enrichir pour en faire sa propre éthique environnementale.
Citation Leopold : « Un siècle a passé depuis que Darwin nous livra les premières lueurs sur l’origine des espèces. Nous savons à présent ce qu’ignoraient avant nous toute la caravane des générations : que l’homme n’est qu’un compagnon voyageur des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution. »
La communauté biotique
L’idée centrale de Leopold est que l’avènement des théories de l’évolution et de l’écologie nous révèlent une chose centrale : nous sommes liés à la nature bien plus profondément que nous ne le croyions, tant par nos origines biologiques que par la planète sur laquelle nous vivons et sans laquelle nous ne pourrions (fort probablement) pas vivre. Ces liens à la nature nous montrent donc que nous faisons partie d’une grande communauté : la communauté biotique, comprenant hommes, animaux, plantes, roches, sols et eaux. Or, nous dit Leopold, l’éthique, historiquement, s’est forgée en rapport avec la communauté : nous n’avons un comportement éthique, des « sentiments moraux » (respect, loyauté, amour, etc.) qu’en rapport avec les membres de notre communauté. Donc, nous devrions, dès lors que nous savons que la Terre est notre grande communauté, avoir un comportement éthique envers elle ! Voilà comment, nous explique Callicott, Leopold étend le champ de l’éthique à la planète dans son ensemble.
Citation Leopold : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. »
Holisme
L’éthique de Leopold, et donc de Callicott, est « holiste ». Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que selon elle, le plus important c’est la préservation du tout, et pas spécifiquement de ses parties. Mais encore ? Prenons un exemple : la préservation de l’espèce « cerf ». Pour préserver au mieux l’existence de cette espèce, il sera parfois nécessaire de tuer certains de ses éléments. Prenons un écosystème où il y aurait trop de cerfs : leur nombre élevé provoquerait la disparition de la végétation, et au final des cerfs eux-mêmes qui n’auront plus rien à manger. Voilà qui permet d’expliquer en partie pourquoi Leopold était un chasseur ET un protecteur de la nature.
Inhumain ?
Les plus rusés d’entre vous verront se profiler une ombre au loin : oui, mais, Leopold accepterait-il alors de tuer des humains au profit de la préservation de la planète (voire de l'espèce humaine elle-même) ? Car tout le monde sait que nous sommes beaucoup sur Terre, et que cela ne fait pas forcément du bien aux autres espèces… Eh bien selon Callicott, cela ne serait pas le cas, car selon lui l’éthique de la terre ne ferait que se rajouter aux éthiques existantes, dont celle des droits de l’homme ! Callicott établit alors une sorte de hiérarchie de communautés imbriquées : celle des hommes, celle comprenant nos animaux domestiques, celle des animaux de ferme, celle des animaux sauvages, etc. Selon Callicott, en cas de dilemme moral entre communautés, nous devrions suivre deux principes, le deuxième restreignant le premier : 1. Préférer notre communauté la plus proche. 2. Préférer le cas le plus « grave ». Prenons un exemple : une communauté de bûcherons vit de l’exploitation d’une forêt d’une espèce d’arbre en voie de disparition. Que préférer ? Le premier principe nous ferait pencher en faveur des bûcherons, mais le second nous dit de plutôt préserver l’espèce d’arbre, car les bûcherons pourront se reconvertir, alors que l’espèce, une fois disparue, ne pourra plus réapparaître !
Et les animaux de ferme ?
La vision de Callicott concernant les animaux de ferme est assez radicale, mais il nous a dit être en réflexion pour l’ « adoucir » suite aux découvertes scientifiques sur l’ « intelligence » animale. Selon lui, les espèces en question (vaches, cochons, poules, etc.) ont été créées par l’homme pour lui servir de nourriture. « Libérer » ces espèces n’aurait donc selon lui pas beaucoup de sens, car où iraient-elles ? Elles ne sont pas faites pour vivre dans la nature sauvage, et perturberaient les écosystèmes en place. Les sortir des fermes reviendrait donc selon lui à devoir les tuer… Quitte à ne conserver que quelques spécimens dans des « musées ». Cependant, ce n’est pas une raison pour les faire souffrir abondamment : Callicott propose un élevage en douceur de ses animaux. Vous l’aurez compris : Callicott n’est pas végétarien, et il l’assume ! Selon lui, la meilleure raison pour manger moins de viande est que l’élevage intensif pollue et perturbe donc les écosystèmes. Vous le voyez : pour lui, ce sont les touts qui comptent, pas les individus.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais laissons cela pour l’épisode que nous lui consacrerons ! Merci à vous Callicott pour votre hospitalité ! :)