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Interview de la philosophe Lori Gruen

À Middletown, Connecticut, se trouve la belle Wesleyan University. Ses bâtiments sont disséminés un peu partout dans la petite ville, parfois sous forme de jolies petites villas ! Il y a beaucoup d'espace et de verdure, et les écureuils sont aussi courants que les pigeons en Belgique.

Notre rendez-vous était dans la Russell House (peut-être en référence à Bertrand Russell, philosophe anglais majeur du siècle dernier ?), dont le look rappelle les temples de la Grèce antique (lieu de naissance de la philosophie occidentale) :

Impressionnant ! C'est autre chose que Louvain-la-Neuve...

C'est là que nous avons rencontré la philosophe Lori Gruen. Voici l'anecdote : en entrant dans le bâtiment, les portes étaient ouvertes et il n'y avait personne (c'est l'été, la plupart des gens sont probablement en déplacement). Pascale me demande alors de garder notre matériel pendant qu'elle fait un petit saut aux toilettes. C'est alors qu'en descendant des escaliers, elle tombe soudainement sur Lori Gruen ! Voilà comment garantir une bonne ambiance pour l'interview :-)

Lori Gruen est une dame adorable et très chaleureuse. Vêtue simplement, elle prenait beaucoup de soin à se comporter de façon "convenable" devant la caméra. Par exemple, terrassée par les questions de Pascale et la soif, elle osait à peine avancer le bras vers son verre d'eau de peur de perturber le plan ! Quelques rires suffisent pour nous mettre à l'aise et je peux dire qu'une belle empathie s'est tissée entre nous.

Et justement, l'empathie occupe une place centrale dans la pensée de Lori Gruen.

Ramener la philosophie sur le terrain de la réalité concrète, complexe et fluctuante

D'un point de vue global, Lori Gruen critique la philosophie dite "abstraite", celle qui consiste à réfléchir à partir de principes abstraits et rationnels, éloignés de toute réalité concrète. Elle prône au contraire une philosophie qui prend racine dans la pratique réelle et qui tient compte non seulement de la raison, mais également des sentiments. C'est une approche de la philosophie que Pascale et moi partageons depuis longtemps; le courant ne pouvait que bien passer avec Lori Gruen !

Plus précisément, Lori Gruen s'inscrit dans le mouvement de l'écoféminisme qu'elle définit comme étant un mouvement de pensée qui rejette les oppositions binaires du genre raison vs. sentiment, masculin vs. féminin, nature vs. culture, etc. Selon elle, ces oppositions sont de faux dilemmes : nous ne sommes pas obligés de choisir l'une des parties au détriment de l'autre et pouvons refuser de tomber dans le piège de tout voir en noir et blanc.

Sa pensée incite donc fortement à plonger dans la réalité concrète et pratique des choses et d'en percevoir l'infinie complexité. En ce qui concerne l'éthique animale, elle propose un outil majeur : l'"empathie intriquée".

Développer une empathie avec les animaux

Le terme anglais est en fait entangled empathy, que l'on pourrait traduire par empathie intriquée, ou encore empathie imbriquée, voire empathie engagée (on va devoir la contacter pour lui demander son avis sur ces traductions). L'idée fondamentale est simple.

Elle part du principe que les êtres vivants sont tous en relation les uns avec les autres, ils sont tous connectés d'une certaine manière. Ces relations sont si importantes qu'elles façonnent l'identité même de chaque être vivant. Ce que nous sommes est déterminé par les relations que nous tissons avec les autres. Sans le reste du monde, je ne suis plus rien.

Dans ce contexte, elle nous encourage à développer notre empathie avec un animal, c'est-à-dire notre capacité à comprendre la perspective dans laquelle se trouve l'animal. Son éthique consiste à agir de façon bienveillante envers l'animal selon sa propre perspective.

Qu'est-ce qui est bon pour l'animal selon sa propre perspective ?

Voilà la question que nous pourrions nous poser face à tout animal. Par exemple : l'élevage intensif est-il bon pour la vache ? Probablement pas. Mais alors, un élevage respectueux, qui offre à la vache une vie saine dans une grande prairie, est-il bon pour la vache selon sa propre perspective ? Peut-être pourrez-vous répondre à la question vous-même : du point de vue de la vache, est-il bon pour elle d'être élevée, dans d'excellentes conditions, dans le but ultime de servir de nourriture ?

On peut poser la question à propos des vaches élevées pour la production de produits laitiers : est-il bon pour la vache selon sa propre perspective d'être élevée dans le but de produire du lait ? (Précisons que la production de lait exige une insémination artificielle ainsi qu'une confiscation des veaux, et ce tout au long de l'année...)

On voit donc que, très vite, on touche aux questions fondamentales du végétarisme et du véganisme.

Mais Lori Gruen nous met en garde : avoir de l'empathie, ce n'est pas se laisser submerger par des sentiments lorsque l'on s'imagine soi-même à la place de l'animal. Au contraire : il faut se garder de projeter ses propres sentiments humains sur l'animal ! Autrement dit, il ne faut pas trop anthropomorphiser l'animal. Plutôt, il faut développer une compréhension lucide de la perspective de l'animal, et cela en étudiant les relations qu'il tisse avec son environnement. La science naturaliste et l'expérience de vie partagée avec l'animal constituent alors des sources importantes pour une meilleure compréhension de l'animal. La pensée de Lori Gruen n'est donc pas du sentimentalisme ! (Beaucoup de clips de sensibilisation font appel à du sentimentalisme, ce que Lori Gruen critiquerait.)

Jane Goodall, une célèbre femme ayant vécu avec les chimpanzés.

Ses travaux ont de profonds impacts sur notre vision des animaux ainsi que de nous-mêmes.

Lori Gruen nous incite à plonger au cœur des choses et à côtoyer de près les animaux, afin de développer une empathie capable de nous faire comprendre la perspective de l'animal. Cette empathie, par la suite, devrait nous éclairer grandement dans nos actions. Nous nous rendrions compte que chaque individu animal est unique et mérite une considération spécifique de notre part. Précisons que Lori Gruen a elle-même côtoyé de près des animaux (des chimpanzés) pendant de nombreuses années et que sa pensée repose notamment sur son expérience.

Nous avons abordé avec elle de nombreuses autres questions, que nous gardons au chaud pour nos films finaux :-) J'espère que ces quelques paragraphes donnent déjà une certaine idée de sa pensée.

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